La colère ukrainienne Cette colère, c’est la première fois qu’elle atteint ce niveau. La première fois aussi qu’elle est unanime et totalement affichée. Quand Zelensky fait remarquer que, pour Israel, il y a eu un système de défense qui a permis de neutraliser toute l’attaque iranienne, alors qu’une des grandes centrales électriques d’Ukraine, celle de Trypillia, a été détruite parce qu’à la fin de l’attaque, les Ukrainiens n’avaient plus aucun missile, juste plus rien du tout, pour la repousser. Et, de nouveau, on voit des avions russes voler en rase motte au-dessus de la ligne de front, ce qu’ils ne faisaient plus depuis très longtemps, à cause des systèmes de DCA. En fait, quand on dit que l’aide des USA n’arrive plus, c’est faux : les USA font annoncer qu’ils fournissaient une aide, récupérée chez les Houthis (ne me demandez pas comment) 5000 fusils avec 500.000 cartouches c’est-à-dire 100 cartouches par fusil (de quoi, si je comprends bien, tirer pendant une heure). C’est-à-dire que cette « aide » a été prise pour un sarcasme, ce qu’elle est objectivement. Pendant ce temps, les USA refusent de livrer les armes nécessaires pour la défense aérienne et anti-missiles, parce qu’ils exercent un chantage sur les Ukrainiens. Ils refusent que ceux-ci bombardent les raffineries russes, parce que ça pourrait faire monter le prix du pétrole (ce qui, corrigez-moi si je me trompe, n’est pas le cas pour le moment), et que, donc, le prix de l’essence à la pompe pour le consommateur américain s’en trouve augmenté. L’Ukraine a frappé les raffineries russes avec ses propres drones (pas des armes occidentales), et, a expliqué Dmytro Kouleba, le ministère des Affaires étrangères, dès lors qu’il n’y a tout simplement pas de livraisons d’armes, les puissances occidentales (il voulait dire les USA) n’ont rien à dire sur rien. Il n’y a juste pas de débat. Il n’y a pas de débat parce qu’il n’y a pas d’aide, et ça veut dire qu’il n’y a pas de puissances occidentales, ou plutôt que les puissances occidentales, par leurs tergiversations, disent quelque chose d’essentiel, et, réellement, de tragique. * Parce que l’aide américaine, en fait, n’est pas seulement bloquée par Trump (visiblement, la chambre basse va quand même finir par légiférer, aussi lentement que possible, et sans qu’il soit possible de prédire le résultat, mais, bon). Non, comme il n’y a pas d’avions F-16, il n’y a pas de systèmes Patriot alors qu’il en faudrait, en tout et pour tout, sept pour garantir la sécurité aérienne du pays, les pays européens en sont à discuter pour savoir s’ils peuvent en fournir un ou deux (et, encore, on voit la catastophe du choix américain fait par l’Allemagne, puisque, de toute façon, chaque système est fait sous licence américaine, et que son utilisation dépend entièrement des USA). La France a un autre système, et la question est de savoir si elle est prête à le fournir à l’Ukraine. Visiblement pas non plus. L’aide est bien bloquée par le gouvernement Biden, pour une raison stratégique. Il s’agit du fait que, malgré toutes les déclarations possibles et imaginables, et au risque de paraître parjures et lâches, l’objectif des USA dans cette guerre n’est absolument pas la défaite de la Russie. L’objectif n’est même plus, aujourd’hui, de contenir son avance. Il est de « préserver l’équilibre existant», c’est-à-dire, concrètement, de reconnaître la suprématie de la Russie sur ce qu’on appelle « sa zone d’influence traditionnelle » (qui inclut, donc, l’Ukraine). Personne, nulle part dans le monde, n’a l’intention de vaincre la Russie, à condition qu’elle reste dans des limites, comment dire ça ? décentes. Bon, oui, elle va engloutir l’Ukraine, mais il ne faut pas qu’elle s’attaque, par exemple, non pas à la Moldavie (la Moldavie, personne n’en parle, elle est déjà condamnée) –, disons, aux pays Baltes. Et encore... Il s’agit, réellement, dans les faits, de reconstituer l’équilibre de la guerre froide, – lequel était un équilibre. D’où la défense d’Israel, par l’Occident tout entier (évidemment qu’il fallait repousser l’attaque iranienne, la chose n’est pas discutable), parce qu’Israel fait partie de l’équilibre. Un équilibre qui implique pourtant que le gouvernement israelien a aujourd’hui les mains libres, et les aura toujours, pour faire ce qu’il veut avec les Palestiniens. C’était comme ça, ça restera comme ça, malgré quelques protestations de façade sur ce qui se passe à Gaza, mais, sur le plan stratégique et mondial, visiblement, ce qui se passe à Gaza, pour les gens, n’a strictement aucune importance, puisque les « équilibres » mondiaux ne prennent en compte que des forces militaires et économiques, et pas du tout la vie des gens. D’où l’abandon de l’Ukraine, puisque l’Ukraine, finalement, quand on y réfléchit, n’existe que pour nous gêner : ce sont les Ukrainiens qui ont remis en cause leur appartenance au « monde russe ». Jamais l’OTAN n’avait songé conquérir un pouce de terrain « russe » (l’OTAN considérant, d’un point de vue stratégique, que l’Ukraine fait partie de la Russie.... de la Russie, pas seulement de l’ancienne URSS). Bon, et s’il faut intégrer l’UKraine aux marchés occidentaux, de fait, ça pose plein de problèmes (et des problèmes absolument réels), par exemple pour l’agriculture. Bref, de tous les points de vue, une Ukraine russe est, pour l’Occident, plus profitable, plus tranquille. Bon, elle sera détruite, et, oui, bon, il y aura là-bas, dans tout le pays, une dictature sanglante, mais, n’est-ce pas, des dictatures, il y en a dans le monde entier, et qu’est- ce d’autre, par exemple, que la Chine, et ça n’empêche pas le commerce, ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais, semblent penser les USA, les équilibres fondamentaux seront respectés. Ce que je ne comprends pas, ce n’est pas le cynisme de cette conception. Non, ça, le cynisme, au fond, il ne m’étonne pas, et il est éternel : la stratégie, militaire et économique, n’a jamais, dans aucun cas, pris en compte la morale ou les aspirations des gens. Si Hitler n’avait pas déclenché la guerre, il serait mort de vieillesse. Non, ce que je ne comprends pas, c’est la bêtise de cette idée. Comment imaginer qu’il y ait, aujourd’hui, un retour possible à l’équilibre, alors que nous assistons, dans le monde entier, à une montée de tous les régimes autoritaires, et surtout de la Chine ? Pendant la guerre froide, la Chine n’existait pas en tant que puissance économique. Aujourd’hui, elle existe quasiment seule. Ce que je ne comprends pas, donc, ce n’est pas le cynisme, c’est la crétinerie de la lâcheté qu’implique l’abandon de l’Ukraine. Et je ne sais pas, en ce qui concerne la Russie, comment les Occidentaux peuvent-ils ne pas entendre, aujourd’hui même, là, maintenant, les insultes lancées au Kazakhstan et aux pays Baltes, qui sont exactement les mêmes, mot pour mot, que celles qu’avaient, pendant des années et des années avant 2014, essuyé les Ukrainiens ? Pense-t-on réellement que Poutine ne va pas continuer à reconstituer l’Empire russe ? * Je me répète, j’avais alerté, ici (puisque c’est ici que je parle, juste, en quelque sorte, pour moi-même, parce que détourner les yeux de ce qui se passe reviendrait à trahir tout mon travail, toute ma vie) sur le double-jeu occidental vis-à-vis de l’Ukraine. Non, malgré ce que dit aujourd’hui notre président, il s’agit bien de laisser gagner la Russie de la laisser gagner assez lentement pour l’épuiser (comme si les pertes, colossales, en hommes et en matériel, avaient une quelconque importance pour Poutine) et pour la contenir. Mais la Russie avance, pas seulement sur le front, qui est en danger de s’effondrer, mais partout dans le monde : les régimes liés à la Russie sont déjà en place dans l’Union européenne (tous les régimes populistes), et les forces populistes, si disparates soient-elles en apparence, ont le vent en poupe. Et, bien sûr, aux USA, si Trump est réellement élu, les Américains auront élu Poutine à la Maison Blanche. Et je parle pas de l’axe ultra-conservateur qui se dessine de l’Amérique du nord à l’Amérique du sud (j’ai vu passer cette photo affreuse de deux mecs, Musk et Milei, le nouveau président argentin, copains comme cochons et Musk n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, un allié de l’Ukraine). Et il y a la guerre économique, encore, partout dans le monde, en Afrique, en Asie quand l’abandon de Taïwan... tout de suite ou dans cinq ans ?), et même, je le découvre tout récemment, dans les fonds marins, puisque les USA font fait une déclaration officielle dans ce sens, pour dire que la Russie avait la capacité de couper tous les câbles posés sur le fond des océans et tous les tuyaux qui assurent le transport des matières premières. Bref, comment ne voit-on pas ce qui se passe ? * Il suffit de sept systèmes-Patriot pour empêcher la destruction des infrastructures civiles de l’Ukraine... sept.... Je l’écris, cela, et je n’y crois pas. Et c’est pourtant vrai. Et, encore une fois, rien que les USA ont 1100 systèmes-Patriot (dont ils utilisent 483). L’industrie militaire occidentale peut gagner la guerre en un rien de temps. Mais personne, visiblement, chez nous, ne veut d’une victoire. Et tant pis pour les gens. Et tant pis pour nous tous. Tant pis pour la colère des Ukrainiens. Tant pis pour les nôtres, de colères. Ces colères n’ont aucune importance.
André Markowicz
17/04/2024