<<
Je
viens
trop
tôt,
dit-il
alors,
ce
n’est
pas
encore
mon
heure,
cet
évènement
formidable
est
encore
en
route et voyage, il n’est pas
encore
arrivé
jusqu’aux
oreilles des hommes… >>
Dieu n’existe pas
L’Homme est une chimère
suivi de
prions pour que ça ne se sache pas !
il nous enterrera tous
Di-e.top
Didier Sribny
Nietzsche
À Nénette
«Il
est
très
difficile
de
réaliser
ce
que
l’on
ne
comprend
pas,
et
c’est
très
souvent
un
problème
psycholo-
gique
parce
qu’on
a
l’habitude
de
penser
qu’on
peut
voir
des
choses
mais
en
fait
on
ne
peut
pas
les
voir.
Par
exemple
on
a
dans
notre
œil
un
point
aveugle
et
on
a
l’impression
que
malgré
ce
point
on
peut
tout
voir,
mais
en
fait
ce
point
ne
voit
rien.
On
doit
comprendre
ça
pour
réaliser
qu’il
y
a
beaucoup
de
choses
que
l’on
ne
peut
pas
voir.
Et
ce
n’est
pas
simple
c’est
une
difficulté
plutôt
psychologique,
et
après
il
y
a
une
difficulté
intellectuelle,
quand
on
peut
voir
qu’il
y
a
un
problème
on
doit
essayer
de
le
résoudre,
mais
pour
pouvoir
orienter
le
cerveau
sur
le
problème,
on
doit
voir
qu’il y a un problème.»
Misha Gromov France Inter 30/12/2012
«Les
germes
de
grandes
découvertes
flottent
constam-
ment
autour
de
nous,
mais
ils
ne
prennent
racine
que
dans
des
esprits
bien
préparés
à
les
recevoir.»
Louis Pasteur
«Quand
il
se
présente
à
la
culture
scientifique,
l’esprit
n’est
jamais
jeune.
Il
est
même
très
vieux,
car
il
a
l’âge
de
ses
préjugés.
Accéder
à
la
science,
c’est
spiritu-
ellement
rajeunir,
c’est
accepter
une
mutation
brusque
qui
doit
contredire un passé.»
Gaston Bachelard
Di-e.top 1
PROLÉGOMÈNES
Di-e.top 3
DIEU EST MORT
Nietzche n’importe comment…
—
Dieu est mort…
Il
y
a
des
gens
qui
ne
ratent
pas
une
occasion de se taire.
Nietzsche,
si
vous
voyez
ce
que
je
veux dire. Friedrich
Nietzsche.
Nietzsche a dit : —
Dieu est mort.
Et moi, j’affirme : —
Dieu est vivant.
Je
sais
ce
que
je
dis.
Preuve
à
l’appui…
C'est
l'histoire
d'un
type
qui
lance
à
sa
femme
:
«Chérie,
je
descends
au
Marigny
chercher
mes
cigarettes…»
Le
Marigny
c’est
le
bar
tabac
en
bas
de
chez
lui.
«…Tu
peux
servir
la
soupe,
je
l'aime
pas
brûlante.
T'inquiète,
j'en
ai
pour
cinq
minutes.
Dix au plus, promis juré.»
Il
sort,
et
lorsque
le
type
rentre
chez
lui,
il
est
sale,
dépenaillé,
fatigué…
et
il
s’étonne
de
ne
pas
trouver
son
assiette sur la table.
Il
ne
comprend
pas
qu’entre
le
moment
où
il
est
sorti
et
l’instant
où
il
est
rentré,
une
année
entière
s’était
écoulée.
Une
année
qui
n’a
laissé
aucune
trace dans sa mémoire.
Authentique.
Hospitalisation.
Cure.
Se
refait
une
santé.
La
mémoire
revient,
petit
à
petit,
par
paliers,
et
puis
complè-
tement,
enfin
presque.
Il
juge
cependant
judicieux
de
rester
discret
sur son aventure.
Vous
m'offrez
une
autre
bière
et
je
vais
tout
vous
raconter.
Dieu n’existe pas
il nous enterrera tous
Peu
de
temps
avant
sa
disparition,
le
type
entend
à
la
radio
une
citation
de
Nietzsche,
Friedrich
Nietzsche
:
Dieu est
mort…
Ç’aurait
dû
lui
entrer
par
une
oreille
et
ressortir
par
l'autre.
Eh
bien
non,
cette
phrase s’est mise
à
passer
en
boucle
dans
sa
tête.
—
Dieu
est
mort
c'est
Nietzsche
qui
l'a
dit.
Friedrich
Nietzsche.
Ah!
alors
si
c'est
Nietzsche. Obsédant.
Dès
lors,
tous
les
soirs,
au
Marigny
où
il
achetait
ses
cigarettes,
il
avait
pris
l’habitude
de
boire
un
verre
ou
deux,
histoire
de
se
mettre
les
idées
en place.
Ce
soir
là
il
avait
un
peu
forcé
la
dose
il
faut
bien
le
dire.
Il
avait
pris
du
retard.
S
ur
le
point
de
remonter
chez
lui,
il
a
un
flash,
une
illumination.
Comme
par
miracle,
ses
idées
étaient
devenues
très
claires,
on
ne
peut
plus
clean
dans
ma
tête
:
Dieu
ne
pouvait
pas
être
mort
il
me
fallait
partir
à
sa
recherche,
il
n'y
avait
pas
de
temps
à
perdre.
Le
type
a
filé
à
la
gare,
à
vrai
dire
j’ai
filé
à
la
gare
parce
que
bon,
soyons
honnêtes
le
type
c’est
moi
mais
bon.
Il
y
avait
un
dernier
train
pour
la
capitale.
Je
bois
une
gorgée
et
je
vous
dis
la
suite.
Restait
à
savoir
comment
trouver
Dieu.
Où
le
chercher
?
Dans
les
églises,
les
monastères
ou
autres
lieux de culte ?
Vous,
vous
êtes
Dieu,
une
supposition,
vous-vous
savez
recher-
ché,
traqué,
iriez-vous
vous
réfugier
là
où
tout
le
monde
vous
attend
au
tournant
?
Dieu
est
malin,
vous
voyez
ce que je veux dire. C'est tout.
Bref,
où
le
chercher
?
Et
surtout,
comment reconnaître Dieu ?
Une
phrase
de
la
Genèse
me
mettait
sur
une
piste
:
"Et
Dieu
créa
l'homme
à
son
image"
laissant
entendre
que
l'homme
devait
primer
sur
l'image.
Il
ne
fallait
donc
pas
s’attendre
à
trouver
un
Dieu
vieillard
à
barbe
façon
père
.
Di-e.top 4
Noël
drapé
de
blanc,
comme
celui
qu’on
voit
allongé
sur
le
plafond
de
la
chapelle
Sixtine…
La
création
d'Adam.
Vous
voyez
le
tableau,
je
veux
dire
la
fresque,
le
moment
de
la
transmission
de
l'Esprit
de
vie
à
travers
un
geste
―
le
fameux
index,
l'index
du
Créateur
pointé
en
direction d'Adam.
Convaincu
que
Dieu
devait
avoir
l'apparence
d’un
homme
ordinaire
comme
vous
et
moi,
restait
à
trouver
le
Bon
Homme.
Pas
le
bonhomme,
mais
le
Bon
Homme
avec
des
majuscules.
Vous-même
vous
pourriez
être
le
Bon
Homme…
Vous
souriez,
mais
qui
sait.
Restait
à
le
repérer.
Une autre bière ? Ça se refuse pas.
Ne
me
voyant
pas
aller
user
ma
santé
et
mes
escarpins
sur
je
ne
sais
quel
hypothétique
chemin
de
Damas
à
la
poursuite
de
Dieu,
il
m’a
semblé
plus
sage
de
me
poser
et
d'attendre
qu'il
se
manifeste.
Et
quels
meilleurs
endroits
pour
se
poser
et
se
mettre
en
embuscade
sans
attirer
l’œil
que
les
bars et bistrots. .
Ç’allait
devenir
un
travail
à
plein
temps,
―
la
"
total
Immersion".
Afin
de
me
fondre
dans
le
décor
j'ai
dû
me
faire
alcoolo
pour
accéder
au
statut
d’authentique
pilier
de
bistro.
Si
bien
que
le
jour
où
j'ai
entendu
répondre
à
quelqu’un
qui
cherchait
les
toilettes
:
«Vous
passez
devant
le
bar.
Vous
tournez
tout
de
suite
à
droite
après
le
pilier…»
et
que
le
pilier
c’était
moi,
j'ai
su
que
le
plus
dur
était
fait, je faisais partie des meubles.
J’étais
opérationnel.
Il
ne
me
restait
plus
qu'à
attendre,
attendre,
et
attendre.
Attendre
sagement
jour
après
jour,
tel
un
sous
marin,
entre
deux
eaux
(une
façon
de
parler),
les
sens
toujours
en
éveil,
mais
sans
ostentation
pour
ne
pas
susciter
les
soupçons,
que
Dieu
daigne
se
manifester.
Di-e.top 5
Et
puis
un
jour,
c'était
tard
dans
la
nuit,
sur
le
zinc
je
venais
de
commander
un
dernier
demi
de
déménageurs
(une
bière-Calva)
pour
essayer
de
neutraliser
mes
gueules
de bois des jours précédents...
À
l’extrémité
du
comptoir,
derrière
un
verre
de
bière,
bonnet
noir
à
raz
les
sourcils,
lunettes
façon
écaille,
nez
informe,
petite
bouche
telle
une
cicatrice
rosâtre,
portant
parka
noir
ouvert
sur
un
tee-shirt
gris,
écharpe
grise
pendant
de
chaque
côté
du
cou,
trônait un individu quelque peu avachi.
Et
puis
il
y
avait
Albert,
le
garçon,
qui
donnait
rageusement
des
coups
de
balai
pour
pousser
papiers
et
mégots
qui
jonchaient
le
sol.
Albert
qui,
arrivé
à
la
hauteur
de
l’homme
avachi,
s’exclame
:
«Pousse
un
peu
tes
cannes
putain
oh
!
Tu
les
pousses
ou
quoi
putain
de
Dieu
!
Bordel
de
putain
de Dieu ! Si c’est pas Dieu possible !»
Ce
cri
du
cœur
d’Albert
me
fait
sortir
de mon artistique torpeur.
Malgré
les
coups
de
butoirs
d'Albert,
l'homme
il
bronche
pas.
Tout
juste
tourne-t-il
son
regard
vers
le
pilier,
lui
fait
un
clin
d'œil
en
lui
lançant
un
discret
:
«
N'importe
comment
fiston...
»
C’était
un
«
N'importe
comment
fiston…
»
accompagné
d’un
superbe
geste
—
un
mouvement
de
va
et
vient
du
majeur de la main droite.
Moi,
censé
être
un
pilier,
l'homme
au bonnet noir
m'avait démasqué !
Et
il
y
avait
Albert,
le
garçon
qui
insistait
:
«
Tu
les
pousses
tes
cannes oh ! »
Il
y
a
le
patron
qui
sermonne
mollement
Albert,
lui
demandant
de
ne pas trop bousculer la clientèle…
Et
Albert
qui
se
rebiffe
:
«
Oh
putain
!
Je
vais
tout
de
même
pas
devoir
me
prosterner
et
me
mettre
à
genoux
à
ses
pieds
devant
lui
putain
oh
!
Il
se
prend pour qui le bonhomme, oh ! »
Di-e.top 6
Le
Bon
Homme
!
C’est
alors
que,
sortant
de
mon
rôle
de
pilier,
j’interviens gentiment auprès d'Albert :
«On
ne
t'en
demande
pas
tant
Albert,
il
suffit
souvent
de
demander
les
choses
poliment
pour
être
exaucé.»
Je
fais
quelques
pas
vers
l'homme
avachi
et
lui
dis
:
«
Sans
vous
commander,
auriez-vous
l’amabilité
de
pousser
vos
pieds
un
instant
?
Afin
qu'Albert
puisse
finir
de
balayer,
je
vous
prie.»
en
insistant
bien
sûr
—
je
vous
prie
―
et
en
me
fendant
d’un
clin d'œil complice.
Et
l’homme
d’obtempérer
en
grom-
melant.
Et
le
barman
de
dire
:
«Et
bien
tu
vois
Albert
j’vais
t’dire,
tout
est
dans
la
manière
de
dire
j'vais
t'dire
!
Il
s'est
pas fait prier je vais te dire.»
J'avais
enfin
mis
la
main
sur
le
Bon
Homme.
Derrière
l’homme
avachi
se
cachait
Dieu
;
derrière
le
pilier
de
bistro
moi.
Je
lui
ai
pas
dit
que
je
l’avais
confondu,
de
toute
façon
lui
le
savait,
il
n’était
pas
Dieu
pour
rien.
Et
puis
n'était-ce
pas
lui
qui
m'avait
confondu
le premier ?
Je
m’installe
à
ses
côtés.
Nous
discutons
à
bâtons
rompus,
comme
je vous parle en ce moment.
J’aurais
pu
m’attendre
à
ce
qu’il
ressasse
des
“
En
vérité
je
vous
le
dis
”
en
préambule
à
de
divines
Élucubrations.
Non
!
Son
préambule
était
«
N'importe
com-
ment
fiston…»
suivi
du
geste.
Geste
simple
et
poétique,
majes-
tueux
et
définitif
de
la
main
et
du
majeur
et
qui
voulait
tout
dire.
Le
Doigt de Dieu.
J’en
profite
pour
le
questionner
sur
des
sujets
divers
et
variés…
La
vie,
la
mort,
le
paradis,
l'enfer,
le
sexe
des
anges,
la
politique,
le
Pourquoi,
le
Comment… Il a réponse à
tout
:
«N’importe
comment
fiston…
»
suivi
du
Geste,
sans
plus.
Et
tout
devenait
lumineux.
Il
n’avait
pas
besoin de s’étendre.
J’ai
voulu
aborder
le
sujet
de
Nietzsche.
Friedrich
Nietzsche.
Sa
réaction
fut
sans
ambiguïté
:
«N’importe
comment
fiston…»
voulant
dire
par
là
qu'il
ne
faut
pas
prêter
attention
aux
élucubra-
tions
d’un
pauvre
ivrogneux,
quand
.
Di-e.top 7
bien
même
il
s'appellerait Nietzsche.
À
un
moment
je
le
prie
de
m'excu-
ser,
il
fallait
que
j'aille
pisser.
Il
me
dit :
«N'importe comment fiston... »
Quand je reviens, Dieu avait disparu.
N’importe
comment
j’avais
enfin
rencontré
Dieu.
Dieu
était
vivant,
en
parfaite
santé,
et
Nietzsche
le
pochtron
était
discrédité
à
tout
jamais.
Paix à son âme.
J’ai
décidé
d’arrêter
l’alcool
en
douceur
sur
un
dernier
demi
de
déménageur.
Il
est,
dit-on,
dangereux
d’arrêter
brutalement
la
boisson,
Il
faut
y
aller
par
paliers.
«Double
le
Calva
s’il
te
plait
!»
Il
fallait
bien
ça
pour
porter
un
ultime
toast
en
l’honneur
de
Dieu.
J’ai
régularisé
mon
ardoise,
payé
la
note
de
Dieu…
Vingt
Dieu
!
Et
puis
bon,
je
lui
devais
bien
cela.
J’avais
trouvé
mon
chemin
de
Damas.
J'allais
pouvoir
enterrer
ma
vie
de
pilier
de
bar
et
mettre
fin
à
ma
"Total
Immersion",
il
ne
me
restait
plus
qu’à
refaire
surface
tout
en
respectant
les
paliers
de
décom-
pression.
Je
me
suis
résolu
à
prendre
un
double
calva
pour
la
route
«
sans
bière
s’il
te
plait»
pour
commencer
à
respecter
les
paliers...
Et
puis
plus
rien.
Ma
mémoire s’arrête là.
Comment
suis-je
rentré
au
bercail
?
Le trou.
Je
sais
que
je
me
suis
retrouvé
devant
le
Marigny.
Il
était
fermé.
Je
sais
que
j'ai
poussé
jusqu'au
Brazza.
Je
sais
que
j'ai
acheté
un
paquet
de
cigarettes
et
je
sais
très
bien
qu’il
y
la
la
soupe
qui
m'attend,
que
je
n'aime
pas
brûlante,
mais
quand
même
pas
froide.
Je
me
vois
remontant
chez
moi,
et
découvrir
que
mon
assiette
n'est plus sur la table...
Au
début
à
l'hosto,
alors
que
la
mémoire
repoussait
lentement,
palier
après
palier,
je
réussissais
à
obtenir
le
contact
avec
Dieu.
Je
pouvais
l'interroger,
il
me
répondait
dans
l'instant,
J'avais
droit
à
son
:
«
N'im-
porte
comment
fiston...»
Il
avait
toujours réponse à tout.
Di-e.top 8
Et
puis,
plus
j'avançais
dans
les
paliers,
plus
Dieu
se
faisait
rare.
Une
fois
j'ai
réussi
à
lui
demander
pourquoi
j'avais
tant
de
mal
à
le
joindre,
il
m'a
répondu
:
«N'importe
comment
fis-
ton...»
Je
lui
demande
ce
qu'il
enten-
dait
par
là…
Je
n’ai
pas
eu
de
réponse… Depuis silence radio.
J’ai
quitté
l’hosto.
Tout
est
rentré
dans
l'ordre.
Dieu
était
vivant.
Bien
vivant.
La
vie
pouvait
reprendre
son
cours.
N’importe
comment
Dieu
nous
enterrera tous, faut être honnête.
C’est
au
bout
de
quelques
semaines,
que
je
me
suis
mis
à
gamberger.
Que
cachait
ce
silence
radio
?
Et
puis
la
phrase
de
Nietzsche,
Frédérique
Nietzsche,
à
refait
surface.
Et
si,
malgré
tout,
les
poivrots
avaient,
comme
on
dit,
un
sixième
sens.
Et
puis
voilà
que
tout
cela
à
commencé
à
repasser
en
boucle
dans
ma
tête…
Obsédant !
Pas
plus
tard
que
tout
à
l'heure,
j'étais
au
Rallye,
un
rade
à
mi-chemin
entre
le
Brazza
et
le
Marigny.
J'ai
bu
un
coup
et
c'est
là
que
j'ai
re-eu
un
flash…
Voilà
la
raison
du
pourquoi
je
suis là.
Non
cette
fois
c'est
ma
tournée,
avant la fermeture du wagon-bar.
Di-e.top 9
=============
Comment
et
pourquoi
un
individu
avachi
derrière
un
verre
de
bière
à
l’extrémité
d’un
comptoir
se
retrouve
portant
un
bonnet
noir
enfoncé
jusqu'aux
sourcils et des lunettes montures écaille ?
***
Nuit
du
vendredi
18
au
samedi
19
janvier
2008
,
l’auteur
de
la
nouvelle
dit
à
sa
femme
:
«Il
n'y
a
plus
de
métro,
je
raccompagne
ta
mère
chez
elle
en
voiture
et
je
reviens
tout
de
suite.»
Sur
le
chemin
du
retour,
après
l’avoir
déposée
au
pied
de
son
immeuble,
passant
par
le
quartier
Latin,
il
trouve
une
place
libre
boulevard
Saint
Jacques…
Son
appareil
photo
numérique
à
la
main,
il
déambule
dans
les
rues,
photographiant
des
devantures
et
enseignes
de
bars,
bistrots,
cafés,
de
nuit
avec
l’idée
que
cela
pourrait
faire
des
images
pour
illustrer
l’histoire
du
type
du
wagon
bar
qui
s’était
mis
dans
la
tête
d’attendre
Dieu
dans
ce
type d'établissement.
2h
01mn
42
secondes
:
Alors
qu’il
vient
de
prendre
en
photo
le
Buci
,
un
café
52
rue
Dauphine,
en
sort
un
individu
qui,
le
trouvant
ouvert
à
l'écoute,
lui
adresse
la
parole
au
milieu
de
la
rue
et
finit
par
l’inviter
à
prendre
un
pot
au
bar
juste
en
face
du
"Buci"
, au
"Conti"
, 1 rue de Buci.
L’individu
n’en
est
visiblement
pas
à
sa
première
bière.
C’est
en
le
voyant
accoudé
au
bar,
devant
son
verre,
bonnet
noir
enfoncé
jusqu'aux
sourcils,
lunettes
monture
écaille,
le
nez
informe,
une
petite
bouche
telle
une
cicatrice
rosâtre,
le
parka
gris
foncé
ouvert
sur
un
tee-shirt
gris
et
l'écharpe
grise
qui
pend
de
chaque
côté,
que
l’auteur
réalise
qu’il
avait
en
face
de
lui
un
personnage
qui
aurait
très
bien
pu
être
le
Dieu
dont
parlait
le type du wagon bar de son histoire.
.
2
h
01
42
:
Je
viens
juste
de
prendre
en
photo
le
Buci,
un
café
52
rue
Dauphine, en sort un individu…
…il finit par m’inviter à prendre un
pot au bar juste en face, au Conti…
Di-e.top 10
‘’TOUT CE QUE J’AI RAMASS
É
DANS LA RUE’’
2h
12
minutes
58
secondes
,
l’individu
après
avoir
accepté
d’être
pris
en
photo
lui
dit
:
«Tu
m’attends,
je
vais
pisser»
Peut-être
une
ruse
pour
disparaitre
et
éviter
d’avoir
à
régler
la
note
?
Au
bout
de
5
minutes
il est de retour.
2
heures
21
minutes
10
secondes
:
re-photo.
Il
parle
fort,
le
barman
lui
fait
signe de baisser le ton.
Il
parle,
laissant
à
ses
doigts
le
soin
de
confectionner
une
improbable
cigarette
laquelle,
à
force
d’être
manipulée,
léchée,
torturée
vire
au
jaune orangé.
Devant
un
désastre
annoncé,
une
reprise
en
mains
s’imposant,
il
remet
le
tabac
dans
la
pochette
posée
sur
le
comptoir et sort une nouvelle feuille.
Allongée
sur
le
pouce
et
l’index
de
la
main
gauche,
le
petit
doigt
l’annulaire
et
la
paume
maintenant
la
pochette,
la
feuille
attend
que
l’index
le
pouce
et
le
majeur
de
la
main
droite
viennent
prélever une pincé de tabac.
Après
avoir
déposé
et
réparti
la
précieuse
denrée
sur
elle,
la
main
gauche
se
déleste
de
la
pochette
pour
venir
prêter
main
forte
à
la
main
droite.
De
concert,
à
hauteur
de
ceinture,
les
pouces,
index
et
majeurs
des
deux
mains,
la
font
rouler
plus
que
de
raison
d’avant
en
arrière,
ne
s’élevant
au
niveau
de
la
cicatrice
rosâtre
qui
fait
office
de
bouche
à
l'homme
au
bonnet
noir
que
pour
quémander
un
peu
de
salive.
Un
rapide
va
et
vient
horizontal
avant
de
redescendre
poursuivre
le
business,
hors
de
vue
et
du
contrôle
de
l'homme
occupé
à
parler.
L’interdiction
de
fumer
dans
les
lieux
publics
est
récente
et
le
barman
semble
attendre
une
entorse
au
règlement
pour
trouver
un
prétexte
pour intervenir.
Finalement
ils
sortent,
il
est
2h
42.
Dehors il continue de parler.
Il a un bonnet noir en foncé
jusquaux sourcils
Di-e.top 11
2h
48
minutes
44
secondes
,
il
vante les mérites de Paris…
«Quelque
part
c’est
pas
mal,
parce
qu’ici
tout
peut
être
possible…
Ici
ça
peut
être
le
rêve.
Le
rêve
peut
durer
une
nuit
ici,
alors
qu’en
province
il
va
durer
combien
de
temps
?
Donc…
Donc…»
«Là
bas…,
dit-il
en
montrant
du
doigt
le
"Buci",
ils
zont
pas
voulu
me
servir,
ils
zaiment
pas
les
anar-
chistes.»
«Il
y
a
un
grand
poète
qui
disait
:
"Avant
de
te
connaître,
avant
d’arriver
à
toi
même,
perds-toi…
Il
faut
que
tu
sois
capable
de
te
perdre
pour
mieux
te
retrouver,
tu
vois
?"
En
gros
ça
veut
dire
:
le
mec
qu’a
jamais
quitté
son
bled,
il
ne
pourra
jamais
mettre
des
étoiles
sur
les
clochers
de
son
église
ou
de
sa
mairie j’en sais rien…»
Suivent
des
propos
peu
cohérents.
«…Je
crois
pas
en
Dieu,
ni
aux
curés,
ni
aux
maires,
j’aime
pas
les
maires,
j’ai
horreur
des
maires,
c’est
la
race
que
j’aime
pas,
la
race…
Pourtant
c’est
la
race
des
travailleurs
mais
j’les
aime
pas,
ça
fait
longtemps
que
j’aurais
dû
ramener
leur
gueule
devant
l’État…
Les
maires,
c’est
des
hommes
de
paille…
Y
a
un
truc
que
j’aime
bien
dans
Paris,
si
tu
veux
les
petites
mafias
elles
peuvent
pas
exister,
elles
peuvent
pas
tenir,
impossible,
alors
qu’en
province
elles
pullulent,
elles existent… »
Enfin,
il
porte
sa
cigarette
à
la
bouche.
Alors
qu’il
cherche
de
quoi
l’allumer,
le
papier
s’ouvre,
libérant
le
tabac
qui
se
répend
sur
le
trottoir.
Le
papier
vide
tient
encore
droit
dans
sa
bouche,
il
en
prend
conscience
en
allumant
son
briquet,
jette
le
papier
à
terre,
regarde
autour
de
lui,
et
s’adresse au premier passant venu :
«T’as
pas
une
cigarette
?»
Sans
succès.
«En
gros
le
mec
qu’à
pas
quitté
son
bled
pourra
mal
se
défendre…
moi
je
me
rends
compte
de
plus
en
plus
:
putain
les
acquis
que
j’ai
!
Tous
les
acquis
!
T’imagines
tout
ce
que
j’ai
.
Di-e.top 12
ramassé
dans
la
rue.
Tu
peux
pas
l’savoir…, c’est un panier de crabes.»
2h
53mn
12
secondes
,
alors
qu’il
dit
avoir
monté
une
association
à
Bourges
:
«…ils
m’ont
enculé…
J’leur
ai
dit
:
c’est
moi
l’Italien
qui
vient
du
Chinois
oh
lala
!»,
il
repère
un
petit
groupe…
Va
vers
eux
pour
tenter
de
leur soutirer une cigarette.
«S’il
te
plaît,
…
J’leur
ai
dit
:
c’est
moi l’Italien qui vient du Chinois…»
—
Des
Italiens,
des
Italiens!
s’indi-
gne un membre du groupe.
Ne
le
laissant
pas
continuer,
dans
son élan se met à déclamer :
«Une
péniche
de
joie
glisse
sur
mon
lacrymal.
J'ai
singé
Attila
pissant
du
haut
d'son
cheval !»
—
Des
Italiens
sauf
que
nous
sommes
bretons,
rien
à
voir
avec
les
Italiens
!
reprend
le
membre
du
groupe.
— Vous êtes bretons, moi aussi !
— T’es d’où ?
— Quimper.
—
C’est
vrai
?!
Mavillon.
Plöermel
c’est par là…
— Non, Montparnasse évidemment.
—
Moi,
bien
sûr
j’suis
breton,
jusqu’au bout de la nuit.
— Moi j’suis Lorrain,
—
OK
on
y
va,
jusqu’au
bout
de
la
nuit.
Il rigole.
—
Jusqu’au
bout
d’la
nuit
quoi
!
Allez,
on y va. Jusqu’au bout de la nuit !
— On y va.
2
heures
56
minutes
55
secondes
.
Le
petit
groupe
est
parti.
Jusqu’au
bout de la nuit.
Une
péniche
de
joie
glisse
sur
mon
lacrymal.
J'ai
singé
Attila
pissant
du
haut d'son cheval…
Un texte qui se termine par :
Suis-je
un
monstre
de
suie
?
Ne
serais-je qu'un songe ?
Le titre
’ Ange Caricatures’"
.
.
=============
=============
Di-e.top 13
—
C’est
l’histoire
de
l’auteur
d’une
nouvelle,
"Nietzsche,
n’importe
com-
ment"
dans
laquelle
un
personnage
se
confie
à
un
voyageur,
dans
le
Wagon
bar
d’un
train
qui
roule
vers
la
capitale.
il
lui
dit
les
circonstances
qui
l’on
amené
à
vivre
une
année
durant
en
"Total
Immersion"
dans
les
bars,
bistros
et
débits
de
boissons
à
la
recherche
de
Dieu.
Il
raconte
sa
rencontre
avec
Lui.
À
la
fin
de
la
nouvelle
on
comprend
qu’ayant
perdu
le
contact
avec
Dieu,
l’homme
est
reparti à sa recherche.
C’est
l’histoire
de
cet
auteur
qui,
une
nuit,
sa
nouvelle
achevée,
profite
d’une
occasion
pour
aller
photo-
graphier
des
extérieurs
de
bars
et
bistros
avec
l’idée
de
s’en
servir
pour
illustrer son récit.
Alors
qu’il
prend
un
ultime
cliché
de
l'enseigne
lumineuse
d'un
bar,
en
sort
un
homme
qu'on
a
refusé
de
servir.
Le
personnage
lui
adresse
la
parole
et
l'invite
à
prendre
un
verre
dans
le
bar
d'en
face,
sachant
qu'accompagné
il
a
moins
de
chance
d'être
refoulé.
Voyant
l’individu
accoudé
au
zinc
l'auteur
a
un
flash
:
le
bonhomme
a
le
profil du Dieu de sa nouvelle.
C’est
l’histoire
de
cet
auteur
qui,
en
mettant
un
pied
dans
la
nouvelle
qu’il
avait
rouverte,
va
se
trouver
happé
par
elle.
Enfermé
dans
un
personnage
d’auteur,
n’ayant
plus
son
mot
à
dire,
il
est
parti
pour
se
lancer
à
son
tour
dans
des
investigations
nocturnes
sans
fin
à
la
recherche,
sinon
de
Dieu,
sinon
du
personnage
qui
recherche
Dieu,
sinon
de
lui-même,
dans
une
course
sans
fin,
jusqu’au
bout
de
la
nuit…
Prisonnier
dans
son
histoire
abraca-
dabrante, in fine.
=============
Di-e.top 14
IN FINE
––
Nous
sommes
tous
plus
ou
moins
prisonniers, in fine.
–– Prisonnier de qui, de quoi ?
––
Prisonnier
d’une
abracadabrante
histoire
ancestrale
qui
a
la
peau
très
dure
au
dire
d’une
de
mes
connais-
sances.
–– De qui s’agit-il ?
––
De
quelqu’un
qui
préfère
garder
l’anonymat.
À
la
suite
d’une
révélation
il
a
développé
une
théorie
troublante,
susceptible
de
chambouler
notre
système de pensée.
–– Quelle sorte de révélation ?
––
Une
incongruité
sémantique
sur-
prenante en rapport avec le cerveau.
–– Nos cerveaux ?
––
Oui…
enfin
non.
À
l’entendre
n
ous
n’aurions
pas
de
cerveau
et
l’homme
n’existerait
pas,
en
tant
que
tel,
du
moins.
––
Votre
anonyme
est
un
original,
un
doux dingue. Un illuminé ?
––
En
fait
il
a
été
touché
par
une
prompte et fulgurante illumination.
–– Vous m’intriguez.
L’HOMME EST UNE CHIMÈRE
PRIONS POUR QUE ÇA NE SACHE PAS
Guidado
Di-e.top 15
––
Une
nuit,
à
la
radio,
un
professeur
de
médecine,
chercheur
de
renom,
parlait
de
personnes
ayant
perdu
l’usage d’un de leurs cinq sens…
‘
Mon
anonyme’’
est
sous
sa
couette,
écouteurs
dans
les
oreilles.
Au
moment
précis
où
il
allait
s’endormir
il
est
percuté
par
cette
fin
de
phrase
:
«…dans
de
telles
circonstances
a
lieu
une
autre
reconfiguration
de
notre
cerveau.»
Jean-Claude
Ameisen,
le
chercheur
en
question,
disait
la
capacité
de
notre
cerveau
à se reconfigurer.
–– J’aime bien Ameisen.
––
L’énormité
du
propos
le
fait
sortir
de sa douce torpeur.
Le
pronom
“notre”
accolé
à
“cerveau”
lui
fait
l’effet
d’un
électrochoc.
Comment
pareille
incongruité
avait-t-
elle
pu
être
dite,
et
surtout
pourquoi
cela lui avait-il échappé jusqu’alors ?
–– Pouvez-vous m’en dire plus ?
–– Oui. Qui me pose cette question ?
–– Moi.
––
Qui
vous
?
Votre
bouche
?
La
langue,
la
glotte,
le
grain
de
beauté
que
vous
avez
sur
la
jambe
droite
?
Qui vous ? Réfléchissez.
––
Mon
cerveau
a
du
mal
à
vous
suivre.
––
Ce
n’est
pas
votre
cerveau
qui
a
du mal à me suivre, mais vous.
–– Moi…
––
Vous,
cerveau.
Nous,
tous
autant
que
nous
sommes,
sommes
des
cerveaux
et
parler
de
notre
cerveau
est
une
ineptie.
Jusqu’à
preuve
du
contraire
les
cerveaux
n’ont
pas
de
cerveau.
––
Si
je
comprends
bien
nous
ne
serions que des cerveaux ?
––
Pourquoi
que
!
C’est
par
contre
ce
qu’on
appelle
l’homme
qui
n’est
que,
qui
n’est
qu’un
instrument
multi-
fonctions,
perfectionné,
à
notre
service,
qu’une
marionnette,
qu’un
exosquelette
sophistiqué
dont
nous,
cerveaux,
essayons
de
tirer
l’ensemble
des
ficelles.
L’homme
est
une chimère.
––
L’homme
une
chimère,
votre
pote
y
va un peu fort !
––
Pascal
de
son
côté
ne
se
posait-il
pas
déjà
la
question
:
«Quelle
chimère
est-ce donc que l’homme ?»
Di-e.top 16
Nous
sommes
depuis
toujours
enfermés,
prisonnier
sans
le
savoir
dans
un
confortable
et
rassurant
conte
de
fée
qui
fonctionne
plutôt
bien.
Alors
pourquoi chercher plus loin?
Serrez
vos
deux
poings,
rapprochez-
les.
Regardez
:
cerveau
droit,
cerveau
gauche.
Nous
sommes,
au
mieux,
gros
comme
ça.
Au
mieux.
En
tout
cas
pas
plus
gros.
Et,
cerise
sur
le
gâteau,
nous
sommes
gris-rose,
mous
et
gélatineux.
Êtes-vous
prêt
à
vous
revendiquer
ainsi
?
Est-ce
moins
prestigieux,
moins
valorisant
qu’être
homme,
humain
ou
je
ne
sais
quelle
sympathique
et
dérisoire
invention
?
Nous
sommes
des
cerveaux
humains,
utilisateurs
du
corps
que
nous
habitons.
–– Pour revenir
à
votre
pote
mystérieux,
il
en
fait
quoi
de son aberration sémantique ?
––
Il
va
vite
se
rendre
compte
que
cette
aberration
cachait
une
faille
apparemment inexplorée.
C’est
simple,
il
suffit
de
se
rendre
sur
l’Internet
pour
y
trouver
une
flopée
de
sites
consacrés
au
cerveau.
On
y
apprend
comment
faire
travailler
son
cerveau…
On
y
trouve
toutes
sortes
de
recettes
pour
réveiller
son
cerveau
,
pour
le
stimuler
par
la
méditation
…
On
propose
:
Devenez
maître
de
votre
cerveau
…
On
y
explique
comment
l’entraîner
le
dynamiser
le
doper
le
reprogrammer.
Comment
libérer
et
muscler
notre
cerveau.
On
y
trouve
des
phrases
comme
:
Le
cerveau
est
un
muscle,
il
faut
l’entretenir
régulièrement.
La
question
qui
ne
vient
à
l’esprit
de
personne
:
‘’par
quelle
opération
du
Saint
Esprit
est-il
possible
d’agir
sur
.
.
Di-e.top 17
notre
cerveau,
qui
peut
bien
le
contraindre
à
se
muscler
pour
le
rendre plus performant ?’’
Sur
l’internet,
une
série
de
confé-
rences
données
dans
le
cadre
d’une
“Croisière
de
la
connaissance”
,
ayant
le
cerveau
pour
sujet,
va
retenir
tout
particulièrement
son
attention.
Partici-
pants
:
Albert
Jacquard,
Jean
Didier
Vincent,
Yves
Coppens
mais
aussi
Jean-Claude Ameisen.
Notre
homme
va
écouter
très
attenti-
vement
leurs
propos
en
espérant
y
trouver
ne
serait-ce
qu’une
infime
allusion
à
cette
faille.
Espoir
déçu
:
le
débat
tournait
autour
du
fonctionne-
ment
de
notre
cerveau
ainsi
que
de
celui
de nos lointains ancêtres.
Retour à la case départ.
Le
constat
était
sans
appel
:
du
candidat
de
“Secret
Story”
annonçant:
«Je
vais
faire
bosser
mon
cerveau»
jusqu’à
l’éminent
médecin
chercheur
qui
parle
de
la
faculté
de
notre
cerveau
à
se
reconfigurer,
en
passant
par
Darwin,
la
cécité
semblait
unanimement
partagée
:
—
l’homme
reste
doté
d’un
cerveau
qu’il
peut
gérer
comme
bon
lui
semble
sans
avoir
besoin de lui demander son avis.
Intrigué
de
ne
trouver
aucune
voix
pour
relever
cette
incohérence,
il
décide
d’aller
explorer
de
plus
prêt
cette faille qu’il avait mis à jour.
–– Et que découvre-t-il ?
––
De
quoi
remettre
radicalement
en
cause notre vision des choses.
–– Mais encore ?
––
Sans
toucher
à
la
théorie
de
l’évolution
des
espèces
de
Darwin,
il
a
développé
une
théorie
parallèle,
concernant le cerveau humain.
–– Rien que cela !
––
Une
théorie
qu’il
nomme
‘’Théorie
obsessionnelle des cerveaux’’.
–– Que dit-elle ?
––
Elle
dit,
pour
être
bref,
que
les
cerveaux,
et
dans
le
cas
présent
les
cerveaux
humains,
sont
mus
par
une
idée
fixe
––
dépasser
leurs
limites
par
tous
les
moyens
à
leur
portée.
Nous,
cerveaux,
sommes
condamnés
à
poursuivre
une
course,
une
évolution
sans fin.
Di-e.top 18
Si
bien
que
quoi
que
nous
fassions,
nous
fonctionnons
en
mode
automa-
tique intégral.
À
la
naissance
nous
cerveaux
démarrons
avec
une
configuration
de
base,
un
programme
qui
va
s’enrichir
au
cours
du
temps,
sans
cesse
sollicité,
mis
à
jour,
en
perpétuelle
reconfiguration
pour
employer
le
terme
de
J-C
Ameisen,
et
tous
nos
actes,
nos
comportements
en
découlent
automa-tiquement.
Ce
sont
des
réflexes,
des
réflexes
d’une
complexité
infinie.
Nous
réagissons
à
la
nanoseconde,
au
coup
par
coup,
en
fonction
des
mises
à
jour
et
du
formatage de l’instant.
–– Et le libre arbitre dans tout ça ?
–– Il n’a pas lieu d’être.
–– Insinue-t-il que tout est écrit ?
––
Disons
que
tout
est
déterminé
sans
intervention
d’un
“
Écriveur”
.
Après
s’être
engouffré
dans
cette
faille
ignorée
et
en
avoir
inspecté
chaque
recoin,
il
est
catégorique:
«Un
principe
créateur
eut-il
existé»
écrit-il
«je
l’aurais
immanquablement
rencon-tré.
Il
n’y
a
pas
la
moindre
place
pour
un
programmateur.»
––
Pour
résumer,
votre
bonhomme
dit
ouvertement
que
Dieu
n’existe
pas
pour
la
raison
qu’il
ne
l’a
pas
rencontré.
––
Il
ne
prendrait
pas
le
risque
de
dire
les
choses
ainsi,
il
a
en
tête
ce
que
Darwin
écrivait
dans
un
de
ses
carnets
secrets.
–– Qu’écrivait-il ?
–– «Guidado»
–– Guidado ?
–– “Sois prudent’’ en portugais.
Darwin
disait
aussi
:
«Révéler
ses
idées
serait
comme
confesser
un
meurtre.»
Di-e.top 19
Voilà
qu’un
soir,
lors
d’une
conversation
à
bâtons
rompus,
‘
’mon
bonhomme’’
oubliant
cette
mise
en
garde,
a
la
mauvaise
idée
de
faire
part
de
ses
recherches.
Il
va
parler
de
preuve
irréfutable
prouvant
la
non-
existence
d’un
dieu
et
faire
allusion
à
un
autre
carnet
secret.
Un
carnet
griffonné
dont
on
aurait
perdu
la
trace
dans
lequel
Darwin,
sans
ambigüité,
aborderait
le
sujet.
Y
serait
question
de
vérité
pour
l’heure
inavouable,
d’un
temps
pour
chaque
chose,
de
futur
distant
où
la
lumière
sera
imman-
quablement
jetée
sur
l’origine
de
l’homme et sur son histoire.
––
Si
je
comprends
bien,
Darwin
fait
l’autruche
et
passe
la
patate
chaude
aux générations suivantes.
––
«Que
feriez-vous…»
écrivait
Nietz-
sche
«…vous
êtes
face
à
un
vieil
ermite,
auriez-vous
le
courage
de
lui
annoncer
froidement,
preuves
à
l’appui,
que
Dieu,
à
qui
il
a
consacré
toute sa vie, n’a jamais existé ?»
––
Une
telle
révélation
aurait
de
quoi
contrarier plus d’un.
––
C’est
peu
dire.
Contrariée
l’était,
dit-on,
la
femme
de
Samuel
de
Wilberforce,
évêque
de
Winchester
après
que
celui-ci
lui
eu
fait
part
en
1880
de
la
théorie
de
Darwin.
Elle
se
serait
exclamée
:
«Oh
my
dear
!
Ainsi,
l’homme
descendrait
du
singe.
Let
us
hope
what
Mr
Darwin
says
is
not
true
,
pourvu
que
cela
ne
soit
pas
vrai
!
Mais
si
cela
devait
être
le
cas,
prions
pour
que ça ne se sache pas.
»
Alors
imaginez
sa
réaction
si
de
surcroît
lui
avait
été
annoncé
que
Dieu
était une fausse piste.
––
Pour
revenir
à
cette
soirée
au
cours
de
laquelle
il
disait
regretter
avoir
parlé
de ses travaux ?
Di-e.top 20
––
Les
répercutions
ne
se
sont
pas
fait
attendre.
Ce
furent
d’abord
des
appels
sans
interlocuteurs,
et
puis
la
certitude
d’être
suivi,
surveillé
et
plus
récemment
c’est
son
domicile
qu’on
a
tenté de visiter...
––
Tous
les
ingrédients
pour
un
bon
thriller
sont
là,
dites
donc
!
Je
vous
conseille
vivement
de
mettre
en
garde
votre
bien
mystérieuse
connaissance
anonyme
car
elle
a
de
grands
soucis
à
se faire. A moins que vous…
––
A
moins
que
je
sorte
de
mon
anonymat.
C’est
bon,
voilà.
Adieu
guidado.
Maintenant
que
j’ai
fait
mon
outing
vous
pouvez
me
dire
de
vive
voix
à
quels risques je suis exposé.
––
Vos
propos
ont
dû
fait
mouche
chez
je
ne
sais
qui.
Une
rumeur
évoquant
l’existence
de
preuves
sur
la
non
existence
de
Dieu
a
de
quoi
exciter
et
déranger
beaucoup
de
monde.
De
multiples
intérêts
sont
en
jeu
y
compris
des
intérêts
financiers
considérables.
Il
y
a
des
gens
mal
intentionnés,
des
organisations
qui
seraient
prêtes
à
tout
pour
mettre
la
main
sur
de
tels
documents.
Vous
devriez
commencer
par
mettre
tous
vos
manuscrits
bien
à
l’abri
si
ce
n’est déjà fait.
Quand
au
carnet
griffonné
de
Darwin
dont
on
aurait
perdu
la
trace,
vous
pouvez m’en dire plus ?
––
De
Darwin
on
connait
les
carnets
secrets,
son
carnet
B,
son
carnet
rouge…
Pour
ce
qui
est
du
carnet
égaré
je
ne
peux
rien
vous
dire.
A-t-il,
même existé ?
*
Di-e.top 21
*
Entre
temps
a
été
constaté
la
disparition
de
deux
manuscrits
de
Darwin
d
e
la
bibliothèque
universitaire
de
Cambridge.
––
Un
Darwin
code
en
puissance
que
cette histoire.
Votre
problème
maintenant
est
que
quoique
vous
fassiez,
que
vous
disiez,
que
vous
soyez
en
possession
de
ce
carnet
ou
pas,
que
vous
en
déteniez
une
copie
ou
pas,
ou
que
vous
disposiez
de
documents
qui
pourraient
permettre
d’en
retrouver
la
trace
ou
pas,
le
mal
est
fait,
il
y
aura
toujours
un
doute
et
vous
ne
serez
jamais
vraiment en sécurité.
Vous
avez
déclenché
une
machine
infernale
qui
vous
met
dans
une
situation
proche
de
celle
l’auteur
prisonnier
de
son
histoire
abraca-
dabrante.
––
Une
sorte
de
Darwin
code,
comme
vous
dites,
dont
le
scénario
ne
peut
que m’échapper.
Et
puis
il
me
tend
une
feuille
en
me
disant
:
«J’ai
tout
essayé,
j’ai
même
fait
parvenir
l’histoire
à
Cavanna
que
je
savais
curieux
en
science,
avec
l’espoir
de
recueillir
son
avis
sur
la
question».
Il
s’agissait
de
la
copie
d’une
lettre
datée
du
15
juillet
2012
le
priant
expressément
de
consacrer
un
peu
de
son
temps
à
la
lecture
du
manuscrit
joint.
«Je
n’ai
obtenu
aucune
réponse
de
part et d’autre.» me dit-il.
–– De part et d’autre ?
––
Je
suis
allé
remettre
en
main
propre
deux
exemplaires
du
manuscrit
chez
un
éditeur
de
François
Cavanna,
un
exemplaire
pour
Cavanna,
l’autre
pour
l’éditeur
lequel
m’avait
promis
de
le lui en faire parvenir un.
Di-e.top 22
Le
samedi
8
décembre
2012
je
me
suis
même
rendu
dans
une
librairie
du
quartier
latin
où
Cavanna
signait
son
dernier
livre.
Il
me
dit
qu’il
y
avait
du
monde
dans
cette
librairie
du
quartier
latin
ce
8
décembre
2012,
trop
de
monde, que ce n’était pas l’endroit…
Je
lui
demande
ce
que
lui
inspire
ce
silence
?
ll
me
répond:
«Si
on
part
du
principe
que
le
texte
à
bien
été
lu,
ce
silence
pourrait
s’expliquer
par
une
cécité cognitive généralisée.
Connaissez-vous
le
syndrome
des
habits de l’empereur ?»
––
L’empereur
qui
se
promène
nu
devant
son
peuple
persuadé
qu’il
était
d’être somptueusement vêtu ?
––
En
l’occurrence
ils
étaient
tous
atteints
d’une
cécité
bénigne,
réversible
que
quelques
mots
lancés
par
un
jeune
‘’simplet’’
suffiront
pour
qu’ils
ouvrent
finalement
les
yeux.
A
ne
pas
confondre
avec
cette
cécité
persistante
qui
touche
le
plus
grand
nombre
sans
qu’il
puisse
en
avoir
conscience.
–– Expliquez-vous.
––
À
la
naissance,
un
cerveau
qui
ne
serait
pas
stimulé
visuellement
pour
apprendre
à
voir,
passée
une
période
critique
de
cinq-six
ans,
est
aveugle.
Dans
un
tel
cas
il
suffit
que
quelques
connexions
seulement
n’aient
pas
été
établies
en
temps
et
en
heure
pour
que
s’installe
une
cécité
partielle
difficile
à
rattraper.
Alors
un
simplet
comme
moi
aura
beau
crier
«Ouvrez
les
yeux
!»
malgré
toute
la
bonne
volonté
du
monde
les
yeux,
quoi
qu’ouverts,
ne
verront rien.
Tout
se
passe
comme
si
vous
cherchiez
à
ouvrir
un
nouveau
logiciel
avec
un
système
d’exploitation
obsolète
et
que
ce
dernier
ne
le
reconnaisse
pas.
Nous
sommes
construits
sur
un
tel
système.
Bien
qu’imparfait
il
est
très
bien
rodé
et
tout
un
chacun,
religieux,
croyants,
athées,
agnostiques,
grands
esprits,
mécré-
ants,
philosophes,
scientifiques…
s’en
accommode
depuis
toujours.
Partant
de
là,
ce
nouveau
logiciel
n’est
pas
prêt
à
être
reconnu,
sinon
dans
un
‘futur
distant’
pour
paraphraser
Charles
Darwin...
..
Di-e.top 23
––
Vous
me
semblez
bien
pessimiste.
Vous
n’avez
pour
le
moment
que
le
silence d’un éditeur et d’un auteur.
––
Vous
avez
raison,
ce
n’est
pas
suffisant pour en tirer des conclusions.
Il
me
dit
qu’après
Cavanna
il
a
cher-
ché
à
obtenir
l’avis
de
Jean
Didier
Vincent.
Je lui demande pourquoi lui ?
––
Le
fait
qu’il
soit
neurobiologiste
bien
sûr et puis il y a aussi Nénette…
==-==-==
Di-e.top 24
Lettre à Jean Didier Vincent
Paris le 20 janvier 2013
Monsieur Jean Didier Vincent,
Le
12
juillet
2012
je
faisais
parvenir
à
François
Cavanna
une
nouvelle,
Guidado
!
Nietzsche
n’importe
comment,
lettre jointe.
Aujourd’hui
c’est
au
neurologue
que
je
me
permets
de
soumettre
le
texte
en
question,
allégé
de
sa
première
partie,
avec
l’espoir
que
vous
pourrez
trouver le temps de le lire.
Veuillez
agréer,
Monsieur,
l’expres-
sion de mes sentiments respectueux.
Ci-joint
un
résumé
de
la
première
partie :
C’est
l’histoire
d’un
auteur
qui
se
lance dans l’écriture d’une nouvelle.
Le
sujet
:
––
un
personnage
qui,
ne
pouvant
se
faire
à
l’idée
que
Dieu
pourrait
être
mort,
décide
de
partir
à
sa
recherche.
Un
concours
de
circonstances
fait
que
l’auteur
de
la
nouvelle,
va
sans
s’en
rendre
compte,
devenir
un
personnage
de
son
histoire
et
celà
étant
en
perdre
les
commandes…
P.S.
Pour
la
petite
histoire,
il
existe
un
point
commun
entre
vous
et
François
Cavanna
:
l’affection
que
vous
portez,
comme
moi
même,
à
cette
personne
attachante qu’est Nénette.
°°°
Di-e.top 25
Deux
mois
qu’il
avait
remis
les
documents
et
qu’il
n’avait
aucun
retour.
Il
écartait
la
possibilité
qu’ils
se
soient
égarés
les
ayant
lui
même
déposés
dans
la
boite
aux
lettres
de
son domicile parisien.
Il
pensait
qu’en
fin
de
compte
le
message
n’avait
aucune
chance
d’être
entendu.
––
Envisageriez-vous
de
baisser
les
bras? Si oui, qu’allez-vous devenir ?
–– Dieu seul le sait.
Vous
avez
le
cœur
à
faire
de
l’humour
lui
dis-je.
Sur
quoi
il
me
répond
que
sans
humour
la
vie
serait
une
erreur
et
que
l’humour
était
un
lubrifiant
existentiel.
Il
me
restait
à
savoir
qui
était
cette
Nénette,
avait-elle
été
mise
dans
la
confidence ?
Il
m’a
répondu
par
la
négative,
que
Nénette
était
une
personne
très
attachante,
et
qu’elle
était
pension-
naire
orang-outan
de
la
ménagerie
du
Jardin des Plantes.
Sur
quoi
il
ajouta
:
«Vous
pouvez
lui
écrire,
je
vous
laisse
carte
blanche.»
Une
façon
détournée
de
me
faire
comprendre
qu’il
était
prêt
à
me
repasser la patate chaude.
.
===
===
=
===
===
Di-e.top 26