The Mauritanian (Désigné coupable) est un film anglo-américain réalisé
par l’Écossais Kevin MacDonald et présenté hors compétition à la
Berlinale 2021. Le Mauritanien du titre est Mohamedou Ould Slahi, un
détenu à Guantanamo après l’attentat terroriste du 11 septembre 2001.
Livré aux Américains par les autorités de son pays sans preuves
suffisantes de son implication dans l’attentat qui a causé près de 3000
morts, il passe de longues années dans le camp concentrationnaire
situé à Cuba. Il raconte son calvaire dans un journal intime
(Guantanamo Diary) publié à la veille de sa libération, et qui sera un
best-seller. C’est donc la vraie histoire de Mohamedou que le film
tourné principalement en Afrique de Sud, reconstitue. Le jeune homme
interprété par Tahar Rahim (nommé au Golden Globe du meilleur
acteur dans un film dramatique) dont la ressemblance physique avec
Mohamedou est frappante, a certes un profil de suspect idéal. Ayant
séjourné en Allemagne et fréquenté des islamistes radicaux, s’étant
entraîné avec les Moudjahidines soutenus par les Américains contre les
communistes en Afghanistan au début des années quatre-vingt-dix, il
reçoit un coup de fil de son cousin (du portable de Ben Laden) puis de
l’argent (5000 dollars) destiné à l’éducation de l’un des fils de ce
dernier. Ces faits seraient accablants si on peut les rattacher par un lien
quelconque au funeste attentat. Les détenus de Guantanamo (plus de
sept cents) ne sont pas tous des coupables avérés, mais des suspects
que l’on compte amener aux aveux. Le président américain George
Bush en personne et son ministre de la Défense Donald Rumsfeld,
veulent des résultats et surtout des condamnations à mort pour
satisfaire l’opinion traumatisée par l’attentat, et pour montrer leur
efficacité dans la guerre contre le terrorisme. Mohamedou risquait donc
la peine capitale, mais son inculpation doit se faire dans le cadre du
respect de l’Habeas corpus et des procédures juridiques américaines.
Sollicitée par un avocat français, connue pour ses combats contre
l’Establishment notamment durant la guerre du Vietnam, Nancy
Hollander (Jodie Foster) accepte de défendre Mohamedou et se rend à
Guantanamo avec son assistante Teri Duncan (Shailene Woodley) pour
le voir et entendre sa version des faits. Parallèlement, un enquêteur
américain, le colonel Stuart Couch (Benedict Cumberbatch), un
chrétien pratiquant et ami du pilote tué à bord de l’un des avions
détournés, est chargée par sa hiérarchie de réunir les preuves à ses
yeux trop évidentes de la culpabilité du suspect. Nancy Hollander et
Stuart Couch vont découvrir presqu’en même temps que des dossiers
et des mémorandums ont été censurés ou dissimulés et que des aveux
ont été arrachés à Mohamedou sous la contrainte. Le colonel Stuart
Couch considéré comme traître par son chef se retire, et Nancy
Hollander obtient l’innocence de son client en s’appuyant
essentiellement sur ses écrits et ses révélations en prison. Le procès a
eu lieu en 2010 sous le mandat du président Obama. Mohamedou va
rester quelques années encore en détention avant d’être libéré
définitivement en octobre 2016.
L
Ce film souligne particulièrement la résistance d’un homme à de
longues années de graves accusations (il était déjà dans le collimateur
des services de renseignement canadiens pour son éventuelle
complicité dans l’attentat du millénaire de Los Angeles) et de détention
terrible (plus de quatorze ans à Guantanamo), et dénonce les exactions
et les tortures commises par les militaires américains et qui préfigurent
les horreurs d’Abou Ghraib en Irak. Quand les enquêteurs civils n’ont
pas obtenu les aveux qu’ils ont souhaités, ils ont cédé la place aux
militaires aux méthodes musclées et barbares : enchaînement des
pieds et des mains suspendus à des crochets, climatisation et
température très basse, musique tapageuse pour enrayer le sommeil,
immersion de la tête cagoulée dans l’eau de l’océan, bastonnades et
coups de pied, viols et manipulations sexuelles par des femmes
masquées, menaces d’abuser des mères et des sœurs etc...Cependant
l’exposition de ces violences, en dépit de sa nature abjecte, et les
débordements de la justice dans le pays de la liberté et de la
souveraineté de la loi, sont nuancés par le comportement humain et
tolérant de certains personnages : le colonel Stuart Couch, l’avocate
Nancy Hollander et son adjointe, le geôlier plus compréhensif que ses
collègues et qui accepte de répondre aux interrogations de
Mohamedou, la soldate masquée qui déplore les coups qui pleuvent
sur la tête du supplicié, le juge sensible à la lecture de la lettre de
l’accusé au tribunal. Les iguanes fréquents dans le lieu et qui circulent
sur le gravier du campement ont ironiquement droit à des égards. Ils
sont mieux traités que les détenus. Une pancarte indique qu’une
pénalité de 10000 dollars est imposée à celui qui leur porte atteinte. Le
cinéaste revient sur des faits du passé de Mohamedou par des
flashbacks et des flous maladroits. Il filme quelques fantasmes où
réalité et cauchemar se confondent. Les pensionnaires de Guantanamo
appartiennent comme les victimes du terrorisme à toutes les
nationalités. Détenus pour la plupart sans chefs d’accusation clairs et
sans procès, ils sont des morts-vivants ou des victimes du terrorisme
qu’ils ont contribué, à des degrés divers, à déclencher. Grâce à ses
Carnets et sa correspondance, Mohamedou a eu le mérite d’ouvrir les
yeux du monde sur ce qui se passe à Guantanamo (il en reste encore
aujourd’hui une quarantaine de détenus). Son témoignage a servi la
cause de la justice représentée par Nancy Hollander campée avec
beaucoup de conviction par Jodie Foster connue pour son engagement
avec l’ACLU (Union américaine pour les libertés civiles) contre la
politique de l’immigration et des réfugiés de Donald Trump.
Récompensée par le Golden Globe de la meilleure actrice dans un
second rôle, elle est l’invitée spéciale du festival de Cannes 2021 pour
recevoir une Palme d’or d’honneur.
Joseph Korkmaz
THE MAURITANIAN
Joseph Korkmaz