Icelle, la Quenelle,
Déjà enfagottée, dentelle et jarretelle,
Attendait “La Surprise”,
Par Icelui, le Brochet, promise...
« Une surprise belle et de taille !... »
Quenelle, patience ! Patience tu es tout près du but,
Chronologie s’agite et voudrait bien qu’on aille
Sans plus tarder reprendre l’histoire en son début.
Q
Un Brocheton, séduisant, faisant fort beau sillage,
Nourrissait sans ambages un amour un peu fou
Pour une Quenelle blonde qui faisait voisinage :
Une jeune oie blanche, hautaine, qui cultive le flou.
« D'un Brochet tel que moi, feriez vous un époux ? »
N'avait-il cesse de dire, dévoré de passion,
À la Quenelle, froide au discours du poisson.
La Quenelle, par nature demeure insondable :
Elle fait tout pour séduire mais reste impénétrable.
C'est une aguicheuse. Au Brochet à genoux
Qui attend dans la fièvre, en normande répond.
Lui dire oui ?
“Que nenni, pas un poisson de cet acabit !”
Lui dire non ?
“Si je le déboutais, il serait bien trop sot,
Se confondrait d'excuses jusqu'à en être à court
Et partirait sur l'heure mettant fin à sa cour.”
La comédie dura... Dura c’en était trop !
Brocheton écœuré par tant de turpitudes
Laissa choir la donzelle pour prendre de l'altitude
En des eaux plus profondes
A l’écart de ce monde.
Jamais Quenelle n’exprime quelconque élan du cœur.
Des saisons s'écoulèrent,
Plus d’un laissa sa peau aux portes de ce bunker :
Noble Dromadaire, Ver célibataire,
Grand Cerf des forêts à l'allure altière,
Jeune Chaton miteux à l'allure de gouttière.
Vaillant Phacochère et Porcelet cacher.
Tortue soupe au lait, « Retourne à ta soupière ! »
Hamster, Bouc émissaire,
Enfin tout le bestiaire…
Souris de gruyère, Rat des cimetières
Et... un Raton larvaire pour clore l'inventaire.
Tous sont pris de haut par la Quenelle fière.
Et puis les prétendants vinrent à se raréfier.
On vit un Vermisseau, un beau, un solitaire…
“Il peut bien faire son fier,”
Il est disqualifié.
A ce moment précis où le récit arrive,
Une chance imprévue se présente à elle,
Un pauvre Veau chétif, tétant encore mamelles
Lui demande sa main, le bec plein de salive.
L'occasion est à prendre, c'est peut-être la dernière.
“Ah que le Brochet était joli garçon !
Avec ce ruminant point de comparaison !”
Mais les temps ne sont plus à faire des manières.
Elle allait se jeter dans ses bovines mains,
Quand revient le Brochet que l'on attendait peu.
Il va voir la Quenelle et regardant ses yeux
Qu'elle n'arrive pas à croire, “Lui ici, ce matin !”,
D'une mâle assurance ce langage lui tint,
A peu près : « Madame, côtoyant ces parages,
M'est venu aux oreilles l'écho d'un mariage,
On en parle beaucoup, on n'en dit que du bien.
Les propos d'autrefois j’en maintiens tous les termes.
Acceptez mon avance et pour nos épousailles,
Je vous promets, une surprise, belle et de taille. »
Le discours s'arrêta, il était à son terme.
“Ils sont bien tous les mêmes, pense alors la Quenelle,
Ils partent en courant, ils reviennent au galop
Les bras en plus chargés par de nombreux cadeaux !
Brocheton ou Brocard
Ils sont bien tous tocards.”
Après hésitation, pure formalité,
C'est une futée,
Elle dit oui au marché,
C'est une curieuse.
Quant au cher bovidé, Quenelle dédaigneuse
L'envoie paître sur-le-champ. Le sort en est jeté.
L'intrigue est liée et à présent connue,
Au début du récit nous voici revenus.
LA QUENELLE
La Quenelle allait fêter son hymen
Avec le Brochet ce jour même…
Déjà enfagottée, dentelle et jarretelle,
Trépignant ? Icelle attendait “La Surprise”
“Belle et de taille” par le carnassier promise.
Arrive Icelui, à la main une valise.
« La surprise serait-elle dans cette mallette grise ? »
Demande la déjà enfagotée que curiosité grise.
–– Tu ne peux deviner, il faut que je le dise :
J'ai mis toutes mes nippes en cette grosse mallette
Car je fais la valise avec une jeune Brochette.
Là est LA SURPRISE
Que je t'avais promise.
Ne la trouves-tu pas belle ?
N'est-elle pas de taille ?
Tu le vois, je me taille
Je me fais la belle.
Conserve ta jarretelle
N'ôte pas tes dentelles
Retourne à ton bétail
Et s'il te veut encore, fondez un beau cheptel. »
Voilà pour LA SURPRISE.
Pour être surprise, la Quenelle est surprise,
Elle ouvre un large bec et laisse tomber ses bras.
Le Brochet, à présent, ayant ôté son masque,
Sous les yeux ahuris de la Quenelle flasque
Pétrifiée comme une vraie saucisse, s'en va.
La Quenelle honteuse qu'on l'ait pu laisser choir
Jure, mais un peu tard... mais c'est une autre histoire.
BQ
Toute fable, d’où qu’elle vienne, implique une morale.
Deux ici s'imposent et ce n'est pas si mal.
“La vengeance, c'est pas comme les quenelles,
La vengeance est un plat qui se consomme froid.”
La seconde morale n'est sûrement pas de celles
Que l’on peut oublier elle devrait faire recette :
“Les quenelles de brochet c'est très souvent du veau,
Quitte à manger du veau, consommons des brochettes.”
Pour moi assurément, je les préfère d'agneau.
BQ
LA QUENELLE
( La Quenelle et le Brochet )
La Quenelle allait fêter son hymen
Avec le Brochet ce jour même...
Fables croisées 1