Jacques Antoine Louis RossiJALR Publication
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Prix Goncourt : il y a cent ans, la polémique «Batouala»
par Valérie Marin La Meslée, pour Le Point - septembre 2021
En 1921, le Guyanais René Maran remporte le
Goncourt avec son «véritable roman nègre»,
déclenchant un tollé hallucinant. Explications.
En décembre 1921, le prix Goncourt fut pour la
première fois attribué à un écrivain français noir : le
Guyanais René Maran , né en Martinique (1887-1960).
Voici ce qu'Aimé Césaire écrivait alors de l'auteur : «Il
est le premier homme de culture noire à avoir révélé
l'Afrique. Mieux, le premier homme de culture à avoir
emmené le Noir à la dignité littéraire.» De nos jours,
alors que la notion de race et de couleur de peau, tout
comme les questions coloniales, rouvrent les débats,
replonger dans cet épisode de l'histoire littéraire
donne à réfléchir sur ce qui a vraiment changé
depuis… Batouala, véritable roman nègre, paru chez
Albin Michel (qui le réédite aujourd'hui avec une
préface d'Amin Maalouf), marque une première dans
l'histoire du roman colonial : les «nègres», ainsi
nommés par l'auteur, ont voix au chapitre : autour des
préparatifs d'une fête et sur fond de rivalités
amoureuses se révèle le quotidien d'une tribu dont le
chef est Batouala. Mais aussi les pensées et ressentis
d'une population gouvernée par les Blancs, dont la
brutalité qu'augmente l'alcoolisme révolte, même si
l'écriture de Maran mêle l'humour au réalisme. Traité
de «nègre antifrançais» et de «traître à la patrie»,
Maran demeurera déchiré entre la défense de sa
couleur et celle de la France civilisatrice, cette dernière
fidélité lui valant de séjourner au purgatoire jusqu'à
aujourd'hui. René Trautmann, médecin colonial,
publie dès 1922 Au pays de Batouala, réponse au livre
de Maran qu'il juge partial, alors que ce dernier, dans
sa préface qui mit le feu aux poudres, appelait au
secours la France et ses écrivains «frères en esprit»
face à ce que l'administration nommait ses
«errements».
«Racisme introjecté». Fils d'un fonctionnaire colonial
guyanais nommé au Gabon, René Maran grandit loin
des siens à Bordeaux pour raisons de santé, se
découvre une passion pour les lettres grâce à son
professeur de latin, écrit très tôt, puis embrasse la
carrière paternelle. En 1909, il part pour l'Afrique
équatoriale, où il occupe divers postes au plus près de
la vie en brousse. C'est en Oubangui-Chari qu'il
entreprend la rédaction de son roman indigène.
Quand Batouala remporte le prix Goncourt, on lit
dans Le Gaulois : «L'Oncle Tom est heureux», parmi
d'autres perles racistes. L'intense polémique de son
Goncourt poussera ce fonctionnaire du ministère des
Colonies à la démission, en 1925. Son livre est retiré
de la vente dans les colonies françaises en Afrique.
De retour en France à la fin des années 1920, Maran
se consacre à son œuvre, romans inspirés de sa vie
africaine, dont reparaît le plus autobiographique, Un
homme pareil aux autres. Il y pose la question du
mariage interracial, et plus encore celle du «racisme
introjecté», le héros noir se refusant à celle qui l'aime,
blanche. L'œuvre poétique de Maran sera
récompensée par le Grand Prix de la Société des gens
de lettres (1949) et celui de poésie de l'Académie
française (1959). Il s'éteint en 1960, l'année des
indépendances africaines.
Illustration : René Maran et son livre «Batouala»,
éditions Albin Michel, 272 p., 17,90 €)