DidierSribny.top
1
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
L’EFFET PAPILLON Un battement d’aile. Le papillon blanc dévie à peine de sa trajectoire. Le jeune enfant chasseur de papillon manque le papillon. Il le poursuit, bute sur une racine. Sa tête heurte un rocher. La mort est immédiate. Infortuné petit enfant au doux prénom d’Adolphe… .°.°.°.°.°.
2
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
SOUTERRAIN
Un petit clin d’oeil à G.P .
Préambule Un saut t emporel de tre nt e cin q ans en arri ère, pour le moin s un text e dormant qui ref ait surface… .°.°.°.°.°. Vendredi 4 se ptembre 20 09 Retour de vac anc es… Pour couper court aux réflexions lancinantes sur le désordre chronique de mon atelier-bureau, je me résous à en entreprendre le rangement. Rien ne pourra m’empêcher de terminer le chantier dans la journée. Même pas ce texte qui essaie de profiter de l’aubaine pour refaire surface après dix huit ans de relégation. Il s’agit d’une tentative d’écriture, une nuit de 1974 dans un bar, une expérience qui se répètera deux autres fois. Dix sept ans entre la première nuit et la dernière en 1991. Après un rapide survol du texte se rendre à l’évidence, il importe d’en faire une sauvegarde informative, ce qui implique la suspension provisoire des travaux de rangement, Archéologie préventive oblige.
Tentative de rangement
de  mon at elier -bureau parisien
3
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Ouvri r l’or dinate ur. Lanc er le t rait ement de text e. Nouveau Doc ument , nom : Souterrain. Sur l’éc ra n vie rge , commenc er pa r taper le titre en m ajuscul e : SOUTERRAIN. Centrer . SOUTERRAIN Souligner et utilis er l es c ara ctères gras SOUTERRAIN
4
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
SOUTERRAIN CLIGNOTTEMENTS 1974 23 HEURES. Ça clignote orange… Trouver le souterrain qui évite la place de la Concorde Fermépourcausedenettoyagenocturne hebdomadaire. Se dire qu'il en ira de même avec le souterrain suivant, celui qui descend sur la "Voiesurberges", pour Causidentiquebdomadaire. Pour rentrer dormir chez soi, près de la Bastille, les "Quaisrivedroite", un cran au-dessus, se proposent comme chemin le plus rationnel. Faire la sourde oreille à cette injonction et prendre à droite : Lepontdelaconcorde, en se disant que le chemin Chambredesdéputésboulevardsaintger mainpontdesully, qu'on va emprunter, ne devrait pas vraiment vous retarder. Traverser ainsi une partie du Paris nocturne aux nombreuses poches de résistance à l’engourdissementnormalisé. Se laisser happer par un bar qui se terrerait discret près la Placesaintsulpice, pourquoi pas. .°.°.°.°.°.
5
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
La nuit. Un bar . Pas d'ouverture sur l'extérieur. Se retrouver, coude sur un comptoir de bois, face à un verre de Guinness, le deuxième, qui viendrait juste d'arriver. En boire une courte gorgée. Sortir un Bic, une feuille de papier pliée en quatre, à cause d'une idée, une idée comme ça… Écrire Essayer d'écrire… Écrire quoi ? Rien, tout et n'importe quoi. Rien que pour voir. Rien dans la tête, rien dans les manches. Une expérience comme ça. Juste pour voir. Écouter, regarder autour de soi, se servir, se saisir de Tout, de Riens, de bribes de mots, de débris de phrases et les coucher tel que, sans se poser de questions et persévérer pour voir si quelque chose va en sortir. Ou si rien. Se dire qu'on a tout son temps et rien à perdre. Se dire que, quand bien même le Bic en venait à faire des siennes, et que le frottement sur le papier pour lui faire entendre raison aboutissait à le percer, quand bien, même… Se dire qu’un trou c’est toujours quelque chose. .°.°.°.°.°. Devant les yeux, en enfilade : un verre de Bière à mousse persistante à moitié plein, la bouteille de Guinness le verre à moitié vide et puis moi. Moi accoudé sur un comptoir de bois. Moi qui, de l'autre coté du miroir, devant un verre à moitié vide... au fond d'un étroit comptoir, tente de repousser on ne sait quelle Limite. .°.°.°.°.°.
6
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Peu de choses à dire, guère plus à écrire : Lumières très exténuées… Musique de jazz. Musique plus qu'un fond sonore, un sédiment sans lequel tout le bar s'étiolerait probable… Qu'écrire ? Peu de monde… La sortie d'un trio : un type chevelure ample lunettes rondes et noires, deux filles… pas le temps de voir les filles. A droite, au bar, un autre trio… trois tabourets plus loin deux types et une fille… : Yadeusolution, outalasécu outapalasécu… Ça cause "sécu". …Non parce que j'ai pas demandé l'assistance gratuite etc… J'leur ai filé 1.500 balles et les papiers de la sécu… Écrire… Écrire en l'attente d'une hypothétique inspiration ? Écrire n'importe quoi… La facilité ?… Pourquoi non ? Et qui c'est qui va payer ? Des petites vieilles, y a juste des examens à faire, sont restées un mois à l'hôpital… Surtout ne pas s'arrêter d’écrire… "SORTIE DE SECOURS" au dessus de la porte derrière le comptoir, inscrit en lumineux (Est-ce bien rassurant ?) "ÉVIER QUI FUME SOUS LE COMPTOIR, VERRES QUE L'ON ESSUIE avec une énergie mesurée"… Quinze jours pour avoir rien que des analyses… Les gens sont conditionnés… Les gens sont plus capables d'assumer leur maladie. Moi je sais, j'irais voir un toubib… Un type seul vient d'entrer, salue le barman. Un autre écrit assis au bar… Que peut-il bien écrire ?…
7
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Quelqu'un essaie discrètement de regarder par dessus son épaule… Faut pas se gêner ! … Des phrases arrivent par bribes… ― …Les gens s'imaginent que… L'autre quart c'est des privilégiés… C'est par le hasard des choses… Non ce n'est pas un n'hasard, toi t'as échappé au système, t'as de la chance de voir ça de plus loin… La population du bar change au grès des entrée-sorties, mais sans vraiment changer. Des genres de spasmes… J'estime que le mec… non mais attention il y a des mecs, c'est le hasard certain. Je crois au hasard, pas à la chance. Les gens ils sont parce qu'ils ont peur. Moi le système médical je peux pas supporter franchement non ? … Faut lâcher du lest de temps en temps, tu peux très bien te soigner toi même, un petit exemple : il y a des gens qui vont plus loin que ça ; moi quand j'ai la grippe je prends des cachets. Il y a des gens ils guérissent leur cancer tout seul. Le cancer c'est aussi psychique que la grippe. Faut pas trop s'aveugler. J'en parle pas légèrement. Dix minutes sans écrire… C'est toujours ça d'écrit. D'abord les gens ils attendent… Ils vont voir un toubib… La fille du trio s'emmerde royalement, une cigarette-point rouge au bout des doigts. Un regret, ne pas avoir de magnéto… Et puis même pas.
8
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Payer et s'en aller ? Un air de jazz étonnant vient prendre la place du précédent… J'attends encore un instant. La porte qui s'ouvre un court instant… Dans la rue un couple de zombis qui passe. Le trio sanitaire en a profité pour mettre les voiles. A quand mon tour ? Les baffles se mettent à cracher un morceau de jazz ultra-connu, joué par un pianiste de jazz ultra connu… Excitant non ? Une eurasienne noire, belle comme le jour a remplacé avantageusement la fille-sécu-du-trio-sanitaire. Elle fume des américaines devant un ballon de rouge, au bout du bar. Je commande un chili-con-carné et un ballon de rouge, alors de toute façon… C'est reparti pour un tour; Le temps s'écoule… Entrées, sorties, entrées… Ceux qui vont s'installer à gauche dans l'obscurité de la salle ne m'intéressent pas, ils n'existent que furtivement, au moment ils entre- sortent, et encore. Je jette de temps en temps un coup d'œil en direction de l'eurasienne noire, elle me regarde aussi de temps en temps… Monchiliarrive en même temps Quellafitzgérald ― C'est fu-mant! Bonjour les enfants on vous attendait, bonne année et surtout bonne santé. Trois Guinness et un ballon de rouge et une bière ! ― …Elle est nihommenifemme… ― Ah bon ! Elle est plutôt mignonne.
9
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Ce n'est tout de même pas de… C'est pourtant de. C'est bien d'elle dont on. C'est de l'Eurasienne noire dont on vient de parler à voix basse… "La vie réserve bien des surprises" . Juste le temps d'inscrire cette réflexion puissante et de relever la tête, elle a disparu. 5 minutes qui passent… avais-je les yeux ? Elle est assise derrière moi sur une banquette rouge devant un ballon neuf. Même de près, elle est vraiment bien, de très belles mains… La blonde qui est en blanc, elle te regarde depuis longtemps. Je sais, de toute façon elle a de toutes petites jambes. J'y ai dit écoute… je vais te dire, ras-le-bol… Complètement bourré, c'est ce qu'il faut se dire. Il y a beaucoup plus de monde qu'au début de mon entrée en bar… il y a combien de temps ? Pas d'idée. Fitzgerald chante toujours, comme jamais. Sacrée bonne femme ! En l'occurrence est-ce toujours Lafitzgérald qui chante ? Ne serait-ce pas plutôt Mahaliajackson. Ou Ninasimone ? Pas Lamathieu c’est sûr. A vrai dire je n'ai pas très bien suivi et puis de toute façon mon inculture crasse m'autorise à ne pas faire le distinguo. D'abord l'inculture ça se cultive au quotidien, ça s'entretient sinon ça se perd très vite, la preuve. Mon inculture a encore des progrès à faire, personne n'est totalement parfait, no body. Ce que je sais c’est que Lamireille ne chante pas sur le même tempo horaire. A chacun son créneau. Il n'est pas nécessaire de sortir de la cuisse de je ne sais qui pour le savoir.
10
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Et puis tout ça a-t-il une grande importance en cette heure qui n'en est plus une ? La Gérald-Jack-Simone chante à la bonne heure pour l'heure. Un type et deux femmes sont à ma droite, une brune, une blonde. La blonde la quarantaine épaisse. Elle semble me faire des signes depuis un moment. Qu'est-ce qui lui prends ? En fait elle fait des signes dans le vide. En fait pas tout à fait dans le vide. Elle me fait des signes, à moi mais comme si j'étais derrière moi. Je me suis tout de même retourné, discrètement. Soulagement je n'y étais pas ! Problème de focalisation ? A moins que… Je préfère ne pas chercher à approfondir et me remettre la tête dans Fitzgerald. Serais-je parti pour finir la nuit ici ? Pourquoi pas. Pourquoi? Dois-je continuer à écrire ? "FUMEES DE CIGARETTES, UN TABOURET DE BOIS au repose-cul carré verni foncé brille sur tranche." "LE CIEL EST
11
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
BLEU LA MER EST CALME LES OISEAUX CHANTENT" et basta ! Fin d'expérience. À l'évidence le stylobille n'avait rien dans le ventre. Encre sympathique ? Trop tard pour répondre. Assez rigolé .°.°.°.°. Payer, Il est laisser 23 heures. l’eurasienne Cette nuit à son ballon, je viens de l’Alma la fausse blonde je rentre chez moi, à son décalage, Là bas la tranche brillante ça clignote orange à son repose-cul, à la hauteur de l’entrée Lafitgerald du premier souterrain à la toile pourvu que ce ne soit pas qu’elle tisse, jourdenettoyagenocturne- et bye hebdomadaire bye auquel cas le souterrain suivant salut. qui descent vers les voies sur berge va c’est sûr, être fermé. Ce serait dommage car car j'éprouve toujours un certain plaisir à les emprunter de nuit, lorsque les ponts et monuments sont embrasés. Parcours magique : La Conciergerie, Notre Dame, Notre Dame illuminée !…
12
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Bonne nouvelle, le clignotement venait d'ailleurs. Ça me réjouit et dans une dizaine de minutes, lorsque j'aurais rejoint mon lit, nul doute que ces images ne m'auront pas quitté et ne s'estomperont qu'avec la tombée du sommeil. Tandis que non loin, un certain Paris se préparera à veiller jusqu'à extinction complète de la nuit. .°.°.°.°.°.
13
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
SOUTERRAIN BÂILLEMENT 19?? Je prends la voie sur berge rive droite. Je passe devant la Conciergerie illuminée. 2,09m premier pont. Pont Royal. Pont du Carrousel. Pont des Arts. Pont Neuf. Pont au Change 2,08m. Pont Notre Dame "3,1m. Pont d'Arcole sans précision. Passerelle. Pont Louis Philippe 3,1m. Pont Marie 2,7m. Pont de Sully 3,1m. Sortie de la Voiepompidolienne sur berge, je ne me souviens pas avoir aperçu les lueurs de Notre Dame. Mettre ça sur le compte de la distraction. D'une panne d'éclairage ? Et puis être pris d'un doute. Se demander si elle a jamais été visible des voies sur berges, et se dire qu'on a peut-être rêvé… ÊTRE PRIS D'UN IMMENSE BÂILLEMENT, qui vous inviterait plus à aller vous coucher qu'à aller satisfaire un ôtemoidoncdundoute qui n’aurait rien de très urgent… CECI DIT… Deux petits hommes rouges se tenant par la manche, accrochés à un poteau de feux tricolores au vert. TRAVERSER en dia go nale. Se fau fi ler en tr deux voitures, e, deux voitures en stationnement où vous
14
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
attend, fraîchement déposée dans le caniveau, pile poil sur une croix blanche une… ― Et merde ! Découvrir sur le trottoir, accolées à une flèche blanche pointant la croix du caniveau, deux têtes de chiens d'une blancheur goguenardesque qui vous narguent. D’habitude les canidés, insensibles aux peintures rue-pestres municipales, répugnent à utiliser les emplacements qui leur sont dédiés. Dire qu’on était en chemin pour aller se coucher et qu’on se trouve là, à traîner sa semelle, au sens propre comme au figuré. Se dire qu'on ferait mieux de tourner les talons. Ceci-dit… ― T'as pas une pièce ? Je donne… Suis installé au bar. ― Une Guinness ! Deux pelés trois tondus dont deux parlent avec l'homme du lieu. ― Hier c'était plein. Les clients jusqu'à 1 heure c'est des gens qui travaillent. Puis vers 2 heures les traînards arrivent, les gens qui vivent autrement… Suis assis juste près l'angle que fait le bar. A l'autre bout, à gauche : une pochette qui attend le retour au bercail de son disque sorti se faire gratter par un saphir. Avec tous les trucs que tu as à payer, si tu gagnes pas du pognon, tu payes comment ? C'est toujours les mêmes qui viennent, mais ils viennent comment ?
15
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
― Bonjour. ― Bonsoir. Bon Bernard, à quand ? Samedi oui… travaille bien. Bonne nuit et soyez en forme samedi. Sortie des deux tondus du bar. Reste Bernard, l'homme du lieu. Pochette attend toujours son protégé de vinyle noir. Elle affiche : "DETROIT NEW YORK JUNCTION" "THAT JOHN". Une Guinness est devant moi pendant que Bernard cherche le prochain disque. L'a trouvé. Est-ce qu'il est possible d'avoir un petit chili ? ― Un seul ? ― Un seul oui. De ce bref échange, un consomma- teur-Bernard-le-consommateur, j'en déduis qu'il est possible de se faire servir un chili. Je m'en doutais. Suis seul au bar. Tabourets aux reposes-fesses circulaires en skaï rouge-sang-de- bœuf. Au mur : exposition de photos portraits : jeunes faisant la grimace… ― Ca fait 52 francs. Un couple s’en va. ― Au revoir. Attention grimaces gentilles, pas grimaces affreuses, grimaces de collégiens. Disqu e q ui to urne, se refl ète d ans cou v ercle tr ans pa ren t… Solo de batt eri e av ec i ncrustation de trompette. Sa phi r qui frise le n oya u d'id entit é… fi n de face . R app el de b ras .
16
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Mise en plac e d'un dis qu e at tentio n cra chouillis . Ne date pas d'a ujo urd 'hui. Pian o… yest er day (Que disai s-je , ça s'inve nte pa s) Y est erd ay… cr ach ouillis yest er day. La chan teuse cha nte au milieu des crach o uillis. Elle me regarde depuis sa poc hette, c omme si elle v oulai t s'excuser pour les cra cho uillis. Si c'est ça , ell e a bie n t ord, ils ont bie n gagné le droit à l' exist enc e l es crachouillis non  ? Ye ste rd ay yesterdaycrachouillis. Le t emps pati ne… Je me trompe peut êt re s ur ce qu' elle c herc he à me dire. Son regard es t en fait illisible t out com me l'est s on nom de lettres v ert es s ur fond noir et bla nc. Et puis la poch ett e es t loin de moi et puis elle est ro ngé e par le temps Les ronge urs du temps Impitoya bles ro ng eurs . S ac rés ronge urs … Enfin bon… Quat re personnages à un e t abl e, deu x à une aut re. On frappe à la port e. ― Pousse ! ― Je suis toute seule… Une belle brune aux chev eux court s, i mper ci noi r . Elle télépho ne. al ors v ou s p ouv ez me pass er Olivie r s'il vous plait ? C omment ? O ui merci Allô Olivie r, tu vi ens me chercher ? J'te r aco nte pas tu vi ens me cherc her ? Bien à tout à l' he ur e. Elle rig ole. Je ne la vois plus , cachée par le pilier . Bernard parle av ec ell e. Hier j'ai bos comme un e bêt e, et a ujou rd' hui… Combien je vous dois Monsieur le directeur ? 24 heures 38, deux s'en vont dont une fille un peu titubante. Fin de disque. Changement : "REMEMBER
17
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
CLIFFORD BROWN" un trompettiste noir, noir et blanc sur la pochette souffre dans une trompette. ( Disque 52-53 remis en place ) ― Une autre Guinness. On retire mon verre. ― C'est pas la peine. ― Il faut bien le rincer. Faut ce qu'il faut. Grimace sur la pochette/homme sur un mur. 24 heures 54. Table de quatre : ― Il faut payer ? ― Oui. A ce rythme je vais bientôt me retrouver tout seul. Enfin pas tout à fait, j'oubliais derrière le pilier : Olivier il va m'engueuler, ce matin j'ai vu un petit pigeon dans l'entrée, alors j'ai pas pu m'empêcher. Alors qu'est-ce qu'il va imaginer. Il est jeune j'espère qu'il va tenir jusqu'à Noël… Non pas pour le manger, je l'emmènerais à la campagne. Qu’écrire…? Que la fille derrière le pilier parle Olivier…? LA FILLE DERRIERE LE PILIER PARLE OLIVIER. Voilà c'est fait. Cutty Stark… ? CUTTY STARK, la tête en bas au dessus d'une bouteille de Four Roses… ― Un black and White sans rien. Bernard cherche un disque pour après… En attendant : GET 29.
18
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
WALKER'S GIN, PROTECTION DES MINEURS répression de l'Ivresse Publique, jauni, fripé. REMY MARTIN. GLENFIDISH. GLEN GRAND. PORTO DE BAIALA… 1 heure 06. La fille parle maintenant cochon d'inde qui se balade en liberté. Fin du disque. Celui qui prend la relève commence par un crachouillis. Puis contrebasse qui joue seule en intro : "CANNONBALL SOUND" 1 heure 10. Dans la rue, derrière la porte s'entendent parfois des pas sur le pavé. Les toilettes doivent être en haut du petit escalier… Entrée de quatre types et une fille. ― On vient voir Carcasse. Déduction : sous la même carcasse se cachent Bernard et Carcasse. C'est un ancien d'Indochine… On parle chasse, Lot, Sologne, cochon… ― Il n'y a plus de cerfs. ― C'est un grand chasseur. Mon avocat est tout près, c'est un type très bien, mais pas un bon avocat pour l'immobilier, mais pas quand on a des emmerdes. T'as fais l'Indo ? J'étais avec une femme, la plus belle femme que j'ai jamais connue. C'est la Police Militaire qui est venue me chercher. Ils m'ont ramené à mon corps… ! Une Allemande qui avait servi dans la Flag. Être ramené à son corps…
Entrent deux types, vont derrière le pilier. L'un dit être Olivier. Entrent quatre. S'asseyent au bar à droite. ― Ya pas grand monde dis donc ! ― Hier c'était bourré. Entrent deux autres. ― Ah ils sont pas dans la merde ! A droite on parle "Seule femme qu'on a jamais connue." Elle m'a dit, toi je te veux, et moi je m'imaginais que c'est moi qui faisais tout. C'était une autre époque. Il m'arrivait de fermer à 9 heures du matin, parfois 2 heures de l'après- midi. C'était la fête à l'époque. Deux types sont ressortis. 1 heure 56. Il ne se passe rien. Peut- être qu'à partir de 2 heures du matin ? Le disque se termine… Non juste une plage. Je descends l'escalier. Au bout du bar on parle Corée, guerre d'Indochine, les Russes, l'Afghanistan, résistance… On parle du petit paysan afghan : Y a des forces étrangères qui sont derrière… obligé. La fille : Dans ma famille ils disent : "j'suis pas raciste" on voit qu'ils vivent à la campagne. ― Bonsoir. Arrivé d'un couple.
19
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
20
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Les trois derrière le pilier se préparent à lever le camp. Cette fois-ci fin du disque. " DETROIT NEW YORK JUNCTION, THAT (?) JOHNES" Sortie des trois / Entrée trois types éméchés : Qu'est-ce que t'as comme champagne ? ― René Lalou. Le meilleur. J'ai toujours fuit les gens qui buvaient beaucoup. Moi je trouve que Paris on dit c'est chiant, on s'en va, on revient, on se rhabitue. Tu sais je suis allé en cachette voir Cézanne. Les galerie m'emmerdent, l'Avant Garde m'emmerde… Un qui est bien c'est Morandi. Celui qui parle c'est Raymond… Un "MY FUNNY VALENTINE" passe. Il y a beaucoup plus de monde à présent. Il est 3 heures 02. Raymond parle à un vis-à-vis, rond comme une bille. Est-il en état de comprendre quelque chose ? On s'est foutu de ma gueule mais maintenant il y a des choses que j'ai pas voulu vendre… Quand au problème de l'art en France… Vous m'abandonnez Eric et moi… Alors Jacques est un type formidable… En attendant si… Ça m'emmerde… J'aime les rhododendrons. J'aime sa personnalité. J'adore les artistes de la Place St. Marc mais le côté académique de l'avant-garde me fait chier. Vous ne seriez pas Monsieur Murdock ?… C'est à moi que la question est posée.
21
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Parce qu'on demande Monsieur Murdock au téléphone. Même pas le temps de me disculper. A droite un voisin pas très clair : C'est une voix d'homme ou de femme ? ― C'est un monsieur qui le demande. Ah bon, dites-lui que je suis là, je le prends tout de suite. ― Qu'est-ce que tu fais, toi ? La question est encore pour moi, elle vient cette fois de ma gauche. J'élude. De toute façon je n’en sais rien. ― Rome est très près de la Bretagne. ― Deauville c'est affreux. ― Trouville c'est marrant. Moi je suis tombé amoureux de Troyes. J'adore les petits voyages pas trop loin Les voyages pas trop loin pour moi en tout cas le voyage n'ira pas jusqu’au bout de la nuit. Et bye-bye salut… °.°.°.°.°.
22
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Il est un peu plus de 23 heures. Être en train de quitter les voies sur berges. J'essuie d'un revers de main mes yeux embués au sortir d'un bâillement prolongé. Ah quel bâillement ! Se surprendre à dire : Au diable Notre-Dame Mon lit m'attend, je suis presque arrivé, pour le reste… .
23
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
SOUTERRAIN COMPACT 1991 23 HEURES 10. Pour rentrer chez soi, du 11ème arrondissement jusque dans le 17ème j'ai le choix entre : Avenue Ledru Rollin - Place de la République : les quais du canal St. Martin - Pigalle - etc. Ou alors : rue de Rivoli. Et puis Opéra - rue de Rome etc. Ou bien Concorde Madeleine et etc. La deuxième proposition, plus raisonnable, évitant les Barbès- Pigalle-Blanche - Clichy, trop de monde, trop de voitures, trop de cars. Je préfère Boulevard Saint Antoine. Le Palmier. Bar Buffet froid Le rallye. Bar La Fontaine. Le Voltigeur. Place de la Bastille Le Rey. Café Français. Rue Saint Antoine Le Jean Bart. Le Rivolux. La rue Saint Antoine perd son nom en passant devant l'Eglise Saint Paul, devient rue de Rivoli Le Fontenoy. Lingerie Bonnet Blanc. L'Eclair Bar. Royal Bar. Bar Tabac de la Mairie. Stella Artois Les Rivolines. Place de l'Hôtel de Ville. Devant : Saint Jacques et sa tour en vue. Aux Armes de la Ville Salon de thé Relais de l'Hôtel de Ville.
24
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Tabac des Templiers. La tour Saint Jacques. Boulevard Sébastopol qui coupe Rivoli. On voit la conciergerie du feu rouge. Le Chat Noir. Café Le Rivoli. Brasserie Paoli piano bar. Le Masséna. Brasserie du Louvre sandwichs crêpes gaufres boisson cidre breton Salon de thé bar des Aigles. Café international self. Café Le Carrousel. Le Welcome. 23 HEURES 25 Place de le Concorde. Se dire que, au point on en est… et malgré l'appel à la raison de La Madeleine au fin fond de la rue Royale, se diriger à l'opposé, vers le pont de la Concorde en se faisant la remarque qu'il n'est pas dit qu'on aura pas vu Notre Dame. 23 HEURES 25 Place de le Concorde. Un camion devant. Il gêne pour tourner à gauche direction le souterrain. ND 90 le modèle du camion ? CBH 39 57 80 00 Bennes Équipements Spéciaux inscrit sur la benne. Plaque d’immatriculation poussiéreuse 4250 ND 93… ND 93… ND Notre Dame… Bon, essayer de le contourner par la droite. Etre allé trop loin et ne plus avoir la possibilité de tourner à gauche. Plus qu’une seule solution prendre tout droit le pont de la Concorde.
25
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
En face de la chambre et son petit .drapeau bleu blanc rouge en haut du fronton. A droite : Tour Eiffel. A gauche Tour Montparnasse et tiens-donc… : Notre Dame éclairée… Se dire qu’on l’aura quand même vue. Y aurait-il un Bon- Dieu pour les… Boulevard St. Germain. Le Concorde Bar Le Dauphine Le Solferino Aux Ministères Le Bizut Le Rouquet Gaz à tous les étages au 188 Bar Tabac P.M.U. Le Reintas Taverne Saint Germain Lip Le Flore, Les Deux Magots Drugstore La Place Saint Germain Le Saint Claude Le Mabillon Bistro de la Gare L’Atrium Le Mandarin A la Pomme de Pain tourner à droite Le Danton Killian’s Tavern 250 bières bouteilles bières pression moules frites Le Condé Hôtel Louis II prendre à droite la rue St. Sulpice, apercevoir une des tours de l’église. De la lumière filtre des seules trois ouvertures visibles.
25
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Café de la Mairie. Stationne à droite de l’église. Hôtel Récamier qui affiche ses deux étoiles en lumineux. Librairie ‘L’Homme Nouveau’ : ‘Les combats contre l’Espérance’ ‘La révélation de la sagesse’ ‘Ceux qui croyaient au ciel’ ‘Le communisme face à Dieu’ Questions Inévitables…’ Sur la place une tente plantée : Exposition de pain d’épice. Dans la rue Via le bar aboiements de petit chien Deux femmes un homme Une des femmes : -- Les puces ne vont pas sur l’homme. L’homme : -- Elles vont sur les femmes. Il rit. La femme : -- Si elles y vont-elles y restent pas. Un t’as pas une pièce accroché aux pas de deux femmes à fourrure. Suis devant la porte
26
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Entre. Marque un temps. Hésite. Ressors pour ôter d’un doute. Constate que pas d’erreur. Rentre. Un tabouret libre devant le comptoir, à droite d’un homme jeune occupant celui du bout contre le mur. Fait un signe pas occupé ? Il fait comprendre que non. Tabouret métallique skaï gris, mini dossier qui arrive bas des reins. Inconfortable. Aurais préféré le sien avec mur- appui-dos et possibilité-être de biais pour embrasser toute la salle. Bien le même lieu mais plus le même volume. Bar a changé de place, de forme. Tout, semble, comment dire, plus petit, plus compact. Subsiste le jazz. La musique de jazz. Derrière le bar, deux barmen. La commande d’une Guinness à l’un d’eux. -- C’est possible d’avoir Chet Backer? Voix qui vient de derrière et qui devant dans le miroir de fond de bar porte le visage barbu. Elle demande ça au chef de l’endroit qui discute avec le voisin de tabouret. -- Pas de problème.
27
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Il passe derrière le comptoir farfouiller dans les rangées de compacts. Les compacts, ça aussi c’est nouveau. Un S’il-vous plaît comment je fais pour retrouver la Bastille d’ici’ posé à l’un des deux barmen par une blonde à droite qui s’apprête à partir en écrasant un mégot dans un cendrier ‘Champagne Lanson Reims’ qui déclenche un ‘Boulevard Saint Germain tout droit’ et fait sortir la blonde. Un ‘T’es un pauvre et t’es content de l’être’ en provenance du chef de bar. * -- Ça les emmerde… que tu sois paumé mais au moins au milieu des gens reconnus… Il est bien imbibé le voisin-tabouret- dossier-mur. Fais de mon mieux pour être bien lisse. Offrir le minimum de prise à une sollicitation verbale qui me pend comme le nez au milieu de la figure. -- C’est vrai cela tu peux le regretter mais c’est vachement acceptable, c’est sa force… …Les paumés du petit matin… Je peux plus rester dans mon studio dans le 19 ème -- Et tu vas déménager pour quel arrondissement ? Logiquement le 20 ème . -- Attention tu peux très bien vivre dans le 19 ème et péter dans la soie. -- Oui mais j’en ai marre de ne pas pouvoir me laver tous les soirs dans ma douche… Il a un problème de femme. -- …C’est une jeune femme j’aurais accepté de lui faire un enfant… J’ai fait l’amour avec des nanas en même temps. Un jour je faisais l’amour à Hélène et je me suis demandé : qu’est-ce que je fais là ?
29
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
23 heures 50. Changement de disque : Compact Chet Backer. C’est petit un étui de compact, difficile à déchiffrer de loin. -- …deux femmes que j’aurais voulu engrosser, Eveline et Hélène… Suis jaloux de sa position de dos au mur (je me comprends), position stratégique qui embrasse tout le bar et dont il n’a rien à faire. Quel gâchis ! Souhaiterais qu’il la quitte pour la lui prendre. En attendant le chef du bar lui parle : -- Je fais un retour au répertoire classique. -- Le répertoire classique c’est quoi Bartók ? -- Je vais à la discothèque de Halles et je suis en train de me faire tout Chostakovitch. -- La musique et la lecture actuellement ce sont des actes de luxe et je crois que ça va être notre luxe… Tabouret inconfortable, écrit péniblement. Garder une certaine contenance n’est pas chose aisée. Pochette du disque suivant déjà en place sur chevalet, prêt à venir remplacer le compact. -- Tu peux me mettre un coup de Mingus ? -- Attends attends tu vas plus vite que la musique. Il retourne derrière le bar. Se retrouve seul, le voisin. Se met à déclamer. -- Nous nous dîmes adieux et puis… et puis quoi ? Une tirade qu’il ne retrouve plus. -- Ils se foutent de la musique ! Pourquoi les nègres se font chier pour les blancs ? Ils devraient nous oublier. -- Tu reste là pour bouffer ton chili ?
30
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Il va rester là pour bouffer son chili ! -- Regardons-nous, nous sommes affreux. Un nasillard ‘Ma propre fille dort avec des gens à droite à gauche, en plus elle a le cancer…’ d’un type au bar à sa voisine cheveux roux et chien. Au dessus de l’escalier une ardoise petit salé aux lentilles chili carné chou farci. Mangeur de chili à gauche pas prêt de partir. --… Cancer. Hôpital Américain, médecin…’ registre nasillard, à droite. Soudaine velléité d’intervention de la gauche, dans la conversation de droite. Intention d’en découdre contrée in extremis par un ‘Où tu vas tu vas ?! sans appel du gardien de bar. Reste sans surveillance, durant 5 minutes mais est désormais neutralisé, définitivement : --… Quelle tristesse, quelle tristesse… Commence à être intégré, ai presque l’impression de faire partie des meubles. La Guinness ? Peut-être, en partie. -- Quelle tristesse. Il a du mal à tenir sur son tabouret. M’attends à ce qu’il s’effondre à tout instant. Voyant rouge qui s’allume : quelqu’un qui sonne à la porte : la rousse sans son chien qu’elle a dû aller coucher. Il est 1 heure moins 5, à gauche voisin sur le point de renverser son verre de bière sur le comptoir avec son coude. 1 heure moins 3, s’endors la tête sur le comptoir ponctué par un ‘Alors Coco t’as une faiblesse’ qu’il ne relève pas. Un type vend des roses.
31
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Un noir avec mallette noire serrure à numéros ; il l’ouvre et montre son contenu. Rien dedans. Ah si, des pins, épinglés sur la garniture du rabat. Signal rouge. Deux types. Ils vont s’assoir à une table. Barman qui agite un shaker sur fond de solo de batterie. Barbu dessus de crâne dégarni petite queue de cheval, col roulé vert sous sa veste venu se poser à droite : -- Une bière… A part ça ? Ai le plus grand mal à décrypter les conversations à cause d’un haut- parleur trop près à gauche. Pochette de disque avec photo d’un personnage, ‘PRESS’ écrit en titre. Sortie : deux types casque sous le bras, un type casquette, une fille foulard boucles d’oreilles dorée. Ella Fitzgerald chante en compact le son propre. Le barbu a payé, est sorti. Une pochette de disque vinyle ‘‘Modern Jazz Quartet Milt Jackson écrit en répétitif’ a pris place sur le chevalet annonçant la fin prochaine d’Ella liftée compact. Deux coupes de champagne se font commander. Une table qui parle fort fait entendre un ‘Marseille est la seule ville italienne de la France’ entre Ella lifté-compact et Milt Jackson Vinyle. Retour du marchand de roses 2 heures moins 10. Il a fait le plein de roses. L’Equipe qui titre ‘Le dessous du panier’ parcouru par chef du lieu debout derrière comptoir. A droite trois types une fille s’installent derrière on prononce ‘Dakar’. Conversation qui tourne au sport.
32
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Protection des Mineurs’ marronnasse et rongée aux coins inférieurs a été mis sous verre pour la figer en l’état. 2 heures 10, yeux qui commencent à fatiguer. Bâillement réprimé. Hésite entre prendre une dernière Guinness ou mettre les voiles. Un ‘J’étais tombé dans l’eau ça fait chier !’ entendu dans la conversation à la table derrière. Suivi de peu par un ‘La bière c’est pas mauvais, ça lave ; un whisky une bière, un whisky une bière, La bière ça lave, la bière seule c’est mauvais’. 2 heures 35, Voisin de gauche sur le point de s’effondrer se reprend. Plus aucun espoir de prendre sa place, est parti pour la nuit. Voiture au pied de la St. Sulpice éteint. Concorde Madeleine. 4 heures 20 une place libre rue Legendre face à l’église Saint Charles de Monceau. 17 ème . Au coin de la rue Legendre et rue de Tocqueville un panneau de la ville de Paris affiche : ‘Les dessous de la ville, Paris souterrain. Exposition de l’Arsenal du 14 Décembre au 31 mars 1991… 4 heures 20. Qu’ai-je pu faire pour rentrer si tard ? … J’ai un trou. .°.°.°.°.°.
33
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
L’EFFET BOUCHON DE CHAMPAGNE À PLUME 7 septembre 2009 Il est dix huit ans plus tard 8 heures 50. Le temps est au beau. J’ai déposé ma fille devant sa nouvelle école près du Luxembourg. Je suis sur le chemin du retour. Quitter le Boulevard Saint Michel et prendre à gauche, passer derrière le théâtre de l’Odéon… Garer sa moto place Saint Sulpice. Emprunter à pied la rue des Canettes, puis la rue à droite pour voir, voir si le bar… Il est toujours là. Belle lumière. Je prends des photos. Photos de l’Église qui se restaure, un panneau de la ville de Paris, la Mairie de Paris restaure la tour nord Photos de la fontaine des quatre points cardinaux, photos de l’eau et de ce qui y flotte. Feuilles mortes ayant forme de bouches charnues, pailles pour boisson transparentes se tenant verticales entre deux eaux ; sous la statue de l’évêque de Cambray un bouchon de champagne avec plumes et duvet engagé dans une course paresseuse autour du bassin poussé par un souffle de vent discret… Traverser la rue, commander un petit noir sur le zinc du Café de la Mairie. 10 heures et des poussières la fontaine s’est réveillée. S’y rendre. Tout est chamboulé, le bouchon, chahuté, repoussé vers le bord, a perdu ses plumes. Photographier autour de soi tout en essayant de retrouver les endroits mentionnés dans le texte.
34
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Si le bar de nuit et le Café de la Mairie répondent présent, l’Hôtel Récamier qui n’a pas changé de place n’arbore plus ses deux étoiles… Disparition par contre des éditions ‘L’Homme Nouveau’ et ses Questions Inévitables . Tomber sur une autre maison d’édition L’âge d’Homme à quelques pas de . Une affichette jaunie derrière la vitre poussiéreuse d’une porte condamnée : Alexandre Zinoviev L’Avenir Radieux Médicis Etranger 1978. Il y a 31 ans. Disparus aussi les avatars de chiens blancs sur les trottoirs et les croix blanches dans les caniveaux. Réussir à en débusquer quelques traces. De retour chez moi, je visionne mes photos… Une inscription apparait à la base du bouchon de champagne, en partie masquée par des plumes, …AMPAGNE les’ ; d’autres lettres en haut ‘…ETT’. 8 septembre 2009 Déposer sa fille à son école… Se garer à droite de l’église Saint Sulpice… Aller sans attendre à la fontaine. Le bassin ne semble pas avoir été nettoyé. En faire plusieurs fois le tour ; rien devant F-S-FENELON ARCHEVEQUE DE CAMBRAY, rien devant Massillon, rien devant l’évêque de Nîmes, pas plus devant Bossuet évêque de Meaux, disparu le bouchon. 9 heures 22 . Un point rouge, sur une plume sur l’eau qui attire l’œil. Un point rouge à points noirs. Une coccinelle telle une naufragée sur un radeau ; mer calme. Neuf heures vingt deux minutes, 38 minutes et des poussières avant avis de tempête.
35
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
Retirer délicatement la plume de l’eau. La déposer sur la margelle, photo. Essayer de transférer la rescapée sur son doigt. Elle glisse. Tombe et disparait au pied de la margelle arborant un mystérieux graffiti bleu. Photo. Prendre encore quelques photos avant de rentrer chez soi. Et maintenant ? Mercredi 9 septembre 2009 Un retour temporel de trente cinq ans pour le moins, un texte dormant, réactivé après quelques années de purgatoire pour, en un rien de temps, trouver son probable épilogue. Six jours se sont écoulés depuis que ce texte à refait surface, Résultat des opérations : j’ai retapé tel que le texte qui est maintenant sauvegardé. J’ai revisité des lieux, fais quelques prises de vue, c’est déjà bien. Le texte va pouvoir se remettre en stand by. A moins que… Si on essaie de faire une synthèse... Au commencement, trente cinq ans pas moins plus tôt, il y a, le souterrain évitant la place de la Concorde qui, fermépourcausedenet- toyagenocturnehebdomadaire, vous détourne vers un bar vous expérimentez une idée oulipienne juste pour voir. Un stylo Bic en état de marche, quelques verres de Guinness, le jazz, une eurasienne noire, du chili con carné, Lafitzgerald, Lamahaliajackson, Lafitzgerald-Jacksimon, une Notre Dame illuminée, une croix blanche sur laquelle on pose un pied, un Bernard Carcasse homme des lieux, That John, un Yesterday-crachouillis, le passage du vinyle au son nickel du compact, My funny Valentine, les champagnes René Lalou et Lanson Reims, un Monsieur Murdock,
36
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
un voisin-tabouret-bar-imbibé, l’Homme Nouveau avec ses ‘Questions Inévitables’, l’Âge d’Homme avec ‘L’Avenir Radieux’, des réflexions sur le désordre de son atelier, une nouvelle école pour sa fille, et pour finir un insolite bouchon de champagne à plume se trouvant au bon moment, à la bonne heure qui vous amène à secourir, 35 ans pas moins plus tard, une coccinelle le 8 septembre 2009, 38 minutes avant dix heures et quelques poussières ? Vu sous cet angle, ça change tout. Se dire que le texte a peut-être trouvé sa justification, son prolongement, sinon son dénouement Tout est dit. Certains y verront peut être l’œuvre d’un grand manipulateur qui chercherait à changer le cours des choses, ce n’est pas mon affaire. D’autres, sûrement, ne verront qu’élucubrations acadabrantesques et que c’est pousser le bouchon un peu loin et que c’est bien du remue- ménage pour une bestiole de rien du tout. Se surprendre à rétorquer que rien n’est anodin, jamais; que le moindre battement d’aile d’un papillon a des effets insoupçonnables, et que le sauvetage d’une bestiole aussi insignifiante soit-elle ne saurait échapper à la règle. Point. Tout est dit. Je n’en dirais pas plus, ce n’est pas la peine de s’énerver. L’affaire est close. J’ai un texte qui a un début et maintenant une fin, que demande le peuple, je n’ai pas de temps à perdre à me poser des questions. Je vais enfin pouvoir me lancer dans d’autres aventures, à commencer par la poursuite du rangement de mon bureau-atelier et ce n’est pas une mince affaire… Mais avant tout il me reste à mettre tout ça au propre… 12 février 2010, 1 heure 59
37
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
20 février 2010, 14 heures PS : La curiosité m’avait poussé à retourner place St Sulpice pour retrouver le bouchon de champagne énigmatique. Sachant maintenant qu’il est le dernier maillon connu, déterminant pour la suite des évènements, peut-être devrais-je, à un moment ou à un autre, mettre ma curiosité à contribution pour essayer de tirer au clair son identité… Dans 35 ans ? Pour le moins. Samedi 26 février 2010, 00h 42 . Anniversaire de ma nièce Lucie. Plusieurs bouteilles de champagne ont déjà été débouchées. Celle que j’avais achetée la veille est enfin sortie. L’intuition m’avait poussé à choisir cette marque, je ne l’avais encore jamais vu à l’étalage de cette grande surface que je fréquente assidument. J’ai hâte d’avoir le bouchon en main. 00 heure 45 : Bingo ! Fin. 5 mars 2010, 12 heures 50 ÉPILOGUE ? 3 mars 2012 Sur le comptoir il y a le Parisien et Libération. Je les intercepte. Une habitude : le samedi matin j’abandonne temporairement ma charrette au Monoprix pour aller prendre un café au 3 pièces cuisine rue des Dames. Pour un euro j’ai un café et en bonus les journaux. Les deux journaux parlent de Pérec. Le trentième anniversaire de sa mort. L’article du Parisien attire mon attention. Il commence par :
38
SOUTERRAIN
Tentative de rangement de mon bureau-atelier parisien
En octobre 1974, l’écrivain Georges Pérec passe trois jours à la terrasse des cafés de la place Saint Sulpice (VIème) et note tout ce qu’il voit. Son objectif ? «Décrire ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages.» Publié en 1975 dans la revue « Cause commune » ce texte court d’une quarantaine de pages sera édité sous le titre « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » . Je découvre qu’en 1974, trente huit ans plus tôt, alors que Pérec officiait Place Saint Sulpice, à deux pas de là, je me lançais dans une démarche similaire. Lui de jour, moi de nuit. Lui trois jours de suite, moi trois nuits en dix sept ans. L’heure tourne, je me souviens de ma charrette qui m’attend au Monoprix. J’ai comme à l’habitude égaré ma liste de courses¸ vais-je me souvenir de ce qu’il me fallait acheter. .°.°.°.°.°. 5 septembre 2021 Cherche à mettre la main sur Souterrain.doc. Le fichier n’est plus sur mon ordinateur, ni sur mes divers disques durs et clefs USB. La disparition. 6 septembre 2021 Réveiller son vieil ordinateur, se souvenir de son mot de passe et remettre la main sur Souterrain.doc ainsi que sur les photos qui vont avec. 7 décembre 2021 Sauvegarde, relecture, un titre qui vous vient sans crier gare ‘’Tentative de rangement de mon atelier- bureau parisien’. Ne devrais-je pas l’accoler à ‘’Souterrain’’ histoire de faire un petit clin d’œil à Georges Pérec ? .°.°.°.°.°.
SOUTERRAIN Tentative de rangement de mon atelier bureau parisien
DIDIER SRIBNY
L’EFFET PAPILLON